Au-delà du paradoxe : Freud, Derrida, Abraham et Torok

Marc Amfreville

Résumé


Cet article aborde la description thoreauvienne du lac de Walden à travers le prisme de la dialectique lacanienne du regard, et de l'impossible coïncidence de ce que nous voyons avec ce qui nous regarde. Quoiqu'omniprésent, le motif du regard ne dissimule-t-il pas ce qui, loin de garantir les repères identificatoires du sujet, au contraire les fait vaciller ? Divers dispositifs textuels contribuant à une « dépose du regard » contemplatif (Lacan), le sujet appréhende son propre manque-à-être dans les éclats intermittents qu'il aperçoit à la surface du lac . Aussi Thoreau s'attarde-t-il sur les divers effets de trompe-l'œil qui maintiennent l'écran du fantasme au-delà duquel l'objet peut être supposé tenir lieu de la Chose, cet « autre préhistorique » qui ne se laisse ici aborder que par l'entremise d'un questionnement archéo-étymologique, ou de la voix qui fait résonner son absence. Dans le texte de Thoreau, certains signifiants, tel le mot « boom », opèrent à la jointure entre axes métonymique et métaphorique. Ils sont métonymiquement reliés à l'objet-voix, mais aussi impliqués dans la production métaphorique du sens. De fait, les possibilités métaphoriques qu'ouvre le texte sont, sinon infinies, du moins proportionnelles aux signifiants qu'il refoule, de sorte qu'il serait tentant de lire dans les inscriptions que Thoreau repère à la surface de Walden autant d'allégories de la trace derridienne. L'article conclut que la trace comme  « mouvement pur qui produit la différence »  n'est pas à l'œuvre dans ces tropes aisément identifiables, mais dans les dis-locations et inversions de divers cadres dont le signifiant est le théâtre.

This paper argues that the Lacanian dialectic of the gaze is central to our understanding of Thoreau's description of Walden pond, where what we see never exactly coincides with what gazes back at us. The visual theme, though omnipresent, may ultimately conceal that which, instead of guaranteeing the subject's consistency, causes it to lose its identificatory bearings. Various textual devices contribute to a “laying down” of the contemplative gaze (Lacan). In the intermittent shimmers that glimpses at the surface of the lake, the subject beholds the reflection of his own lack-of-being. Thoreau, therefore, emphasizes various trompe-l’œil effects which preserve the screen of fantasy beyond which the object may be assumed to take the place of the Thing, that “prehistoric other” which may only be approached through the mediation of archeo-etymological questioning, or by means of the voice which causes its absence to resonate. In Thoreau's text, certain signifiers, like the word “boom,” operate at the junction between the metonymic and metaphorical axes, being metonymically connected to the object voice, yet metaphorically involved in the production of sense. Indeed the metaphorical possibilities that the text opens up seem if not endless, at least proportional to those signifiers it represses, and one might be tempted to interpret the markings Thoreau observes at the surface of the pond as allegories of the Derridean trace. This paper concludes that the trace as the “pure motion that produces difference” is at work, not in such easily identifiable tropes, but in the dis-location and inversion of frames that take place on the level of the signifier.



Mots-clés


Homme aux loups; Derrida, Jacques; Freud, Sigmund; Abraham, Nicolas; Torok, Maria; Paradoxe; Réalité psychique

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