Les jeux sont faits : Woolf, Benjamin et le problème du futur dans La Chambre de Jacob

Scott McCracken

Keele University

  1. Voulez-vous faire un pari, cher lecteur ? Je parie qu’en dépit d’un manque incontestable de compétences en la matière, je parviendrai au classement de Woolf parmi les philosophes. Vos chances de gagner sont excellentes : de fait, peu oseraient dire que je suis spécialiste de Woolf, et il est évident que personne ne me dira philosophe. Pourtant, fidèle à mon propos, à savoir l’incertitude du futur, je me déclare prêt à risquer le tout pour le tout, avec l'espoir que mes spéculations s’avèreront fructueuses, même si je risque tout aussi bien de perdre la mise, et d’être irrévocablement frappé d’anathème non pas par une seule institution, mais bien par deux, celle de la littérature et celle de la philosophie.

  2. Il est vrai que vous ne connaissez pas encore, à ce stade, la teneur de mon argumentation, vous n’avez encore que peu d’éléments en main. Mais si vous êtes d’humeur à relever le défi, vous pouvez toujours commencer par évaluer mon tableau de performances. Ai-je déjà écrit sur Woolf auparavant? Non, jamais. Vos chances de remporter le pari semblent excellentes. Ai-je écrit sur la philosophie ? Presque jamais. Le pari a l’air gagné d’avance ; mais le jeu manquerait singulièrement de piment, ne trouvez-vous pas ? Il me faut donc concéder que l'on trouve bien, dans mon livre sur la fiction moderniste, quelques rares (et même scandaleusement rares) références à Woolf, et que j’ai également coécrit un livre sur l’autre sujet de cet article, c’est-à-dire Walter Benjamin, critique et théoricien dont la philosophie prend certainement les idées au sérieux1. Le jeu en vaut donc la chandelle. Mais avant de commencer…

  3. Mesdames et messieurs, faites vos jeux !

  4. Woolf et Benjamin se sont tous deux intéressés aux temporalités propres à la modernité : ce fait n’est un secret pour personne, pour peu que l’on connaisse, même de loin, leurs écrits. J’aimerais, dans le but d’explorer le problème du futur chez ces deux auteurs, faire une lecture de l’un des premiers romans de Woolf, en tous cas l’un des premiers ouvrages les plus expérimentaux, La Chambre de Jacob (1922), à la lumière des fragments où Benjamin aborde la question du jeu, dont la plupart ont été publiés de manière posthume. Parmi ces écrits on trouve les « Notes pour une théorie du jeu2 », écrites à la fin des années 1920, ainsi que « Prostitution, jeu3 », qui correspond à Convolute O dans Le Livre des passages, conçu à la fin des années 1920 et développé dans les années 1930 sans jamais être achevé. A cause de la structure du Livre des passages, qui se présente comme un collage de citations, Convolute O cite de nombreux textes sur le jeu, parmi lesquels Le Jardin d’épicure d’Anatole France, ainsi qu'un texte de Paul Lafargue sur l’esprit du jeu chez le bourgeois, et un texte d’Edmund Bergler sur la psychologie du joueur. Je me suis aussi inspiré de certains autres textes de Benjamin, en lien avec sa théorie du jeu : les sections de Sens Unique (1928) consacrées à la divination, l’essai sur « Le Surréalisme » (1929), et enfin, parce qu’elles s’avèrent toujours pertinentes, ses dernières thèses « Sur le concept d’histoire4 ».

  5. L’une des idées qui fondent mon argumentation est que la pensée du temps, chez Woolf comme chez Benjamin, est déterminée par l’expérience de la défaite. D’un point de vue personnel comme d’un point de vue politique, les deux auteurs eurent à souffrir de la défaite colossale infligée par la première guerre mondiale à toute une génération, dans les deux camps. Pour ceux qui naquirent dans les deux dernières décennies du dix-neuvième siècle (Woolf en 1882 et Benjamin en 1892), il n’y eut pas de vainqueur en 1918 ; et, alors même que le souvenir de la première guerre mondiale s’estompait, la montée du fascisme menaçait d’anéantir, pour les deux auteurs, toute possibilité que soit interrompu le cycle qui entraînerait une guerre inévitable, ainsi que d’autres catastrophes. A première vue, la question de la défaite apparaît comme une question historique plutôt que philosophique. Il est vrai, par ailleurs, que des historiens comme Eric Hobsbawm, Perry Anderson aussi bien que Reinhart Koselleck ou Wolfgang Schivelbusch ont tous soutenu que les meilleures historiographies, celles qui sont les mieux pensées et les plus mûrement réfléchies, sont celles qui ont été écrites du point de vue de la défaite5. Pourtant, la défaite peut également faire l’objet d’un questionnement philosophique : de fait, des philosophes, comme Alain Badiou, ou des théoriciens, comme Slavoj Žižek, ont également écrit sur le présent en tant que moment historique de défaite, rendant nécessaire, à ce titre, l'élaboration de modes de pensée singuliers6. Il va de soi qu’il n’est pas question dans leur propos de victoires ou de défaites électorales, mais bien de la défaite totale de toutes les alternatives au capitalisme effréné, datant pour certaines de la chute du mur de Berlin, et peut-être même d’avant cela.

  6. Pour les historiens, les philosophes et les critiques, les notions essentielles pour comprendre l’expérience de la défaite sont celles qui permettent une pensée de la temporalité. L’attitude de chacun par rapport à la défaite est déterminée par la manière dont est pensé le temps de la défaite. Par exemple, la défaite fait-elle l’objet d’un récit qui la présente comme inéluctable, ou est-elle plutôt présentée comme un retour à la norme, ou encore est-elle interprétée comme un « lieu abaissé7 » depuis lequel il sera possible de se relever ? Chaque récit de défaite donne au temps une forme singulière. Ainsi, interpréter les textes de Woolf et de Benjamin comme des textes de la défaite n'implique pas qu'on en fasse des textes du défaitisme, pas plus que ces deux auteurs ne sont des victimes, bien que l’un comme l’autre aient été à tort classifiés comme tels. La question serait plutôt celle-ci : comment l’expérience de la défaite, face à laquelle l’idéologie des vainqueurs se déploie souvent avec une force irrésistible, peut-elle être repensée et réappropriée ? Woolf comme Benjamin eurent le souci d’élaborer des modes de pensée capables de transformer la mentalité de la défaite en autre chose. Cette entreprise impliquait, pour les deux écrivains, de se confronter à la manière dont l’attitude d’ouverture à l’avenir est minée par l’expérience de la défaite. Tous deux recherchèrent des modes d’écriture adéquats, afin que le futur puisse à nouveau s’ouvrir en tant que possibilité.

  7. Bien entendu, il ne s'agit pas d'en conclure qu’ils ne se préoccupaient pas du passé, mais plutôt qu’ils étaient conscients que toute réflexion sur le passé nécessiterait toujours que l’on considère également ce qui était à venir. Après tout, La Chambre de Jacob est un roman sur le passé, celui de Jacob mais aussi, au sens plus large, au sens allégorique, celui de toute une génération ; et pourtant, si le passé de Jacob pose problème, c’est parce que le personnage n’a pas de futur. Si ce que le roman essaie de représenter est Jacob en tant qu’absence, en tant que trou dans le temps et dans l’espace, cette absence a nécessairement des conséquences sur le futur. En ce sens, dégager Jacob des fragments éparpillés qui forment les restes de sa vie ne fait pas simplement partie d’une opération commémorative de circonstance. La Chambre de Jacob n’est pas une simple élégie : d’ailleurs sa forme est, à bien des égards, anti-élégiaque. Le problème du futur dans le roman implique que Jacob lui-même ne représente jamais qu’un aspect particulier du récit.

  8. Dans Le Livre des passages, Benjamin cherche lui aussi à cerner les moments d’anticipation dans lesquels les ferments enfouis de l’avenir se donnent à reconnaître. Il les décèle dans les objets, dans les circonstances les plus ordinaires du quotidien, où l’enveloppe monotone de la normalité recèle des moments de révélation extraordinaires. Il a élaboré à ce propos un concept qui permet de penser cette capacité à reconnaître les possibilités temporelles de l’« à-présent » : il s'agit du concept de Geitesgegenwart en allemand, habituellement traduit en anglais par « presence of mind » et en français par « présence d’esprit ». Aucune de ces traductions n'est à même de rendre compte pleinement du concept, bien qu’« esprit », qui réunit le spirituel et l’intellectuel, soit plus proche de « Geist » que de « mind ». Il serait alors intéressant de traduire plutôt ce concept en anglais par « mindfulness of the present », qui permet d'exprimer avec plus de justesse le sentiment d’hyper-conscience que Benjamin avait en tête. Mais cette définition elle-même ne peut attester de l’étendue de ce que Benjamin décrit lorsqu’il parle, ailleurs, d’un état à la fois corporel et intellectuel d’ « innervation8 », ainsi que le souligne Miriam Hansen :

le don rare du jeu de hasard véritable, mis en œuvre, souvent de manière abusive et de façon totalement isolée par des individus dont le seul but est le gain personnel, se fait modèle d’innervation mimétique pour une collectivité qui semble avoir littéralement perdu le sens commun, perdu cette présence corporelle de l’esprit qui aurait encore été capable de transformer la menace du futur en une plénitude du « maintenant9.

  1. Le pari en tant qu’acte crée une nouvelle conscience corporelle de la temporalité, qui rend plus intense la représentation qu'a le joueur des possibilités contenues dans le présent comme dans le futur. La pensée de Benjamin sur le jeu est concentrée dans le fragment non-publié qui s'intitule « Notes pour une théorie du jeu » :

c’est au dernier moment que le véritable joueur place ses mises les plus importantes, celles aussi qui le font gagner. On pourrait penser qu’il est inspiré par le bruit caractéristique que produit la boule juste avant de tomber dans la case. Mais on pourrait soutenir aussi qu’au dernier moment, quand tout presse, à l’instant critique et dangereux (où on peut laisser passer la chance), il retrouve à temps cette aptitude qui lui permet de s’y retrouver, sur cette table, de lire cette table d’un seul coup d’œil […] le jeu […] donne la place centrale […] [à] l’innervation vive comme l’éclair dans le danger : le cas limite dans lequel la présence d’esprit devient divination, c’est-à-dire l’un des suprêmes instants et des plus rares de la vie, c’est ce que le jeu produit de manière expérimentale10.  

  1. Le moment qui précède celui où les jeux sont faits (et plus ce moment est proche de celui où l’on fait le pari, mieux c’est) représente l’un des moments où l'on ressent réellement les possibilités du futur contenues dans le présent.

Des numéros gagnants, le joueur peut avoir l'impression qu'ils se cachent. Cela vient de ce qu'il connaît à l'avance — c'est une hypothèse — tous les numéros gagnants, sauf ceux sur lesquels il avait misé en toute vigilance optique ou rationnelle (par hasard). Quant aux autres, deux possibilités : ou bien il a misé juste en répondant à une innervation motrice (une inspiration), ou bien il les connaissait à l'avance, mais il n'a pas su les découvrir, les mettre à nu (les rendre manifestes) de façon motrice. D'où le sentiment qui naît ensuite que le numéro s'est caché11.

  1. Dans la pensée de Benjamin, le jeu de hasard constitue l’un des processus du quotidien qui s’avèrent capables de créer une conscience singulière, extraordinaire, qui est également une conscience singulière du temps Dans Le Livre des passages, Benjamin cite un extrait du Jardin d’Epicure d’Anatole France, où l’on trouve la fable d’un génie qui

donne à un enfant un peloton de fil et lui dit: « Ce fil est celui de tes jours. Prends-le. Quand tu voudras que le temps s’écoule pour toi, tire le fil : tes jours se passeront rapides ou lents selon que tu auras dévidé le peloton vite ou longuement. Tant que tu ne toucheras pas au fil, tu resteras à la même heure de ton existence. » L’enfant prit le fil ; il le tira d’abord pour devenir un homme, puis pour épouser la fiancée qu’il aimait, puis pour voir grandir ses enfants, pour atteindre les emplois, le gain, les honneurs, pour franchir les soucis, éviter les chagrins, les maladies venues avec l’âge, enfin, hélas ! pour achever une vieillesse importune. Il avait vécu quatre mois et six jours depuis la visite du génie. Eh bien ! le jeu qu’est-ce donc sinon l’art d’amener en une seconde les changements que la destinée ne produit d’ordinaire qu’en beaucoup d’heures et même beaucoup d’années, l’art de ramasser en un seul instant les émotions éparses dans la lente existence des autres hommes, le secret de vivre toute une vie en quelques minutes, enfin le peloton de fil du génie ? Le jeu, c’est un corps à corps avec le destin … On joue de l’argent, — de l’argent, c’est-à-dire la possibilité immédiate, infinie12.

  1. Si Benjamin reconnaît la capacité du pari à transformer le temps, la temporalité du jeu est étroitement liée, selon lui, au moment qui précède tout juste le pari. Perdre, selon Benjamin, génère « un certain sentiment de légèreté, pour ne pas dire de soulagement. A l’inverse il pèse au joueur d’avoir gagné13. » Dans les deux cas, l’hyper-conscience, apportée par la temporalité du jeu, est perdue (d’où, pourrions-nous ajouter, le besoin de recommencer — bien que le discours sur l’addiction qui caractérise notre siècle ne soit en aucun cas celui de Benjamin).

  2. Benjamin tire de textes français et allemands le matériau qui lui sert à bâtir sa théorie du jeu. Comment dès lors articuler sa conception du temps à la prose moderniste de langue anglaise ? Nous connaissons bien le caractère central du jeu dans Ulysse de James Joyce, texte écrit par un contemporain de Woolf, publié sous sa forme complète la même année que La Chambre de Jacob. De manière significative, la course de Gold Cup à Ascot figure dans le récit qui nous est fait des vingt-quatre heures de la vie de Léopold Bloom. Le nom du gagnant, « Throwaway », qui est d’ailleurs conforme à la réalité historique, fait l’objet d’une suite de présages et de signes prophétiques14. Il y a le tract jetable15 annonçant l’arrivée du Messie, mis entre les mains de Bloom, qu’il chiffonne et jette dans la Liffey16 ; puis, les mots que prononce Bloom lorsqu'il fait passer à Bantam Lyons le journal avec les pages des courses, « Je me disais qu’il fallait que je jette ça », donne à Lyons un prétexte pour choisir le gagnant :

— Je veux voir ce qu’ils disent de ce cheval français qui court aujourd’hui, déclara Bantam Lyons. Où foutre est-il ?

Il froissa les pages pliées, redressant vivement le menton au-dessus de son col montant. Feu du rasoir. Col trop serré il va perdre ses cheveux. Autant lui laisser prendre son canard et m’en débarrasser.

— Vous pouvez le garder, dit M. Bloom.

— Ascot. Gold cup. Un instant, marmonna Bantam Lyons. Juste un petit mom. Maximum second.

— Je me disais qu’il fallait que je jette ça, reprit M. Bloom.

Bantam Lyons leva soudain les yeux et lança un petit regard en coin.

— Comment ça ? fit-il sèchement.

— Ce que je dis, c’est que vous pouvez le garder, répondit M. Bloom. Il fallait que je jette ça de toute façon.

Bantam Lyons fut pris d’un doute pendant un court instant, lorgnant en coin : puis lança les feuilles étalées dans les bras de Bloom pour lui rendre.

— Je vais risquer le coup, dit-il. Tenez, merci.

Il fila vers chez Conway17.

  1. Bloom lui-même ne parie pas18 ; pourtant, dans la ville de banlieue pauvre où il réside, chacun espère rencontrer la chance. Bien qu’il ne soit pas joueur, en tous cas pas au sens formel du terme, il n'échappe pas au jeu de hasard. Ce qu'il dit à Lyons sera interprété plus tard comme le signe qu’il a remporté la mise après avoir parié sur Throwaway ; son refus de payer à boire avec ses supposés gains attise alors un anti-sémitisme déjà présent dans l’épisode du Cyclope. Le jeu de hasard et la spéculation font ainsi partie intégrante de la temporalité de la ville moderniste. Et pourtant, Virginia Woolf, pour qui l’épisode du pari pourrait avoir constitué l'un des éléments de la « vulgarité » qu’elle voyait dans Ulysse, s’intéressait-elle aux jeux de hasard ?

  2. Il est bien possible que oui, car on trouve de fait, dans La Chambre de Jacob, un pari dont on ne sait pas s’il a lieu, trois paris qui ont réellement lieu, et une mise en jeu. Chacun de ces paris mérite qu’on lui prête attention, mais il convient également de poser la question, et j’y reviendrai, de la manière dont le texte conçoit la guerre elle-même comme une sorte de pari : on peut en effet comparer la temporalité du passage qui vient juste avant la déclaration de guerre à celle qui est produite par la manière dont le joueur perçoit le temps juste avant de faire ses jeux. Benjamin lui-même formule cette analogie dans Convolute O : « ce n’est pas par hasard qu’on parie sur le résultat des élections, sur le déclenchement de la guerre19 ». Tout semble possible avant de faire ses jeux, et, de la même façon, avant la déclaration de guerre, la certitude laisse la place à l’incertitude ; plus on s’approche de la déclaration de guerre, plus les possibilités du futur s’ouvrent largement. La fin de la guerre, comme l’issue d’un pari, produit l’effet opposé : elle ferme l’avenir. Même le fait de gagner, paradoxalement, peut se révéler être une sorte de défaite, pas uniquement parce que l’issue est désormais certaine, mais aussi parce que, en ce qui concerne la génération qui fit l’expérience du conflit de 1914-1918, le nombre des pertes étouffa tout sentiment de triomphe.

  3. Le premier pari du roman apparaît d’abord par le biais de « bras faisant des gestes, d[e] corps se mouvant, […] donnant forme à quelque chose dans la pièce » dans la chambre d'un étudiant à Cambridge : « S’agissait-il d’une dispute ? D’un pari sur les régates d’aviron ? Etait-ce tout à fait autre chose20 ? » Nous n’en saurons jamais rien. L’avenir reste ouvert. Les trois paris qui ont réellement lieu dans La Chambre de Jacob sont ceux que fait Charlotte Wilding lors de la partie de campagne en Cornouailles. Elle parie d’abord avec le « jeune homme qui avait d’épaisses lunettes et une moustache rousse21 » sur le fait qu’il ne sera pas capable d’avaler des bégonias. Les bégonias sont des fleurs comestibles, et il est aisé de reconstituer le débat et le pari, en dépit du fait qu’ils n’apparaissent pas en tant que tels dans le texte. Nous entendons d’abord parler du pari rétrospectivement, alors que l'issue en est encore à l'état de contestation :

— Nous vous en faisons juge, Mrs. Durrant, dit un jeune homme qui avait d’épaisses lunettes et une moustache rousse. Je prétends que les conditions ont été remplies. Elle me doit un souverain.

— Pas du tout avant le poisson — mais bien avec le poisson, Mrs. Durrant, dit Charlotte Wilding.

— C’était ça le pari ; avec le poisson, dit Clara d’un ton sérieux. Des bégonias, maman. Il s’agissait de les manger avec son poisson.

— Oh ! mon Dieu, dit Mrs. Durrant.

— Charlotte ne te paiera pas, dit Timothy22.

— Comment oses-tu… dit Charlotte.

— C’est moi qui aurai le privilège, dit le courtois Mr. Wortley qui produisait un étui d’argent chargé de souverains et fit glisser une pièce sur la table23.

  1. Ayant l’esprit d’une véritable joueuse, Charlotte se bat pour tenir le pari et garder l’avenir ouvert, différant l’issue le plus longtemps possible. Charlotte fait taire Timothy Durrant lorsqu’il prédit l’avenir : « Charlotte ne te paiera pas ». La phrase amorcée par Charlotte, « Comment oses-tu… », pourrait être achevée de cette manière : « Comment oses-tu affirmer ce que je ferai ? Comment oses-tu décider du futur à ma place ? » Mais c’est la courtoisie de Mr. Wortley qui vient véritablement gâcher le jeu : il met certes fin à la querelle, mais par le pouvoir de son argent il referme aussi l’horizon des possibilités, ouvert par le pari. C’est probablement là la raison pour laquelle Charlotte s’empresse de faire un autre pari, cette fois avec Mr Erskine, dont on ne sait pas s’il ne fait qu’un avec le « jeune homme qui avait d’épaisses lunettes et une moustache rousse » avec lequel elle avait parié la première fois. Après le diner, alors qu’ils se tiennent sous les étoiles :

[…] elles furent rejointes par Mr. Erskine.

— Le silence, ça n’existe pas, dit-il d’un ton catégorique. Je peux entendre vingt sons différents par une nuit comme celle-ci, sans compter vos voix.

— On parie ? dit Charlotte.

— D’accord, dit Mr. Erskine. Un, la mer; deux, le vent; trois, un chien; quatre…24

 

  1. Les choses sont laissées ainsi. Nous ne saurons jamais si le personnage arrive jusqu’à vingt. Nous ne saurons jamais qui gagne le pari. Tout au moins le lecteur ne connaîtra-t-il jamais le fin mot de l’histoire : pour lui, les possibilités restent ouvertes.

  2. La dernière fois que Charlotte fait un pari avec le jeune homme, ou bien est-ce plutôt avec elle-même, elle parie sur le fait que Jacob les rejoindra pour répéter une pièce de théâtre. Ici encore, nous n’entendons parler de ce pari qu’après coup, mais cette fois-ci elle est convaincue d’avoir gagné :

Elsbeth Siddons s’attarda derrière eux avec quelque chose d’argenté sur le bras.

— Nous voulons, dit-elle… Je suis venue… dit-elle, s’interrompant.

— Pauvre Jacob, dit Mrs. Durrant, avec douceur, comme si elle l’avait connu toute sa vie. Elles vont vous faire jouer dans leur pièce.

— Comme je vous aime ! dit Elsbeth, s’agenouillant près du fauteuil de Mrs. Durrant.

— Donnez-moi la laine, dit Mrs. Durrant.

— Il est arrivé — il est arrivé ! s’écria Charlotte Wilding. J’ai gagné mon pari25.

  1. En anglais, le mot « play » peut renvoyer au jeu de hasard aussi bien qu’au théâtre ; les lecteurs de Jane Austen le savent bien, une pièce de théâtre montée lors d’une partie de campagne par un groupe de jeunes hommes et de jeunes femmes a toutes les chances de produire l’effet inverse d’une fermeture des possibilités futures26. En acceptant un rôle, même à contrecœur (si l’on en croit les impressions de Mrs Durrant), Jacob entre sur un terrain de jeu nouveau et instable. Pourtant, sa participation au spectacle lui-même se révèle finalement incertaine. Le récit saute directement au moment de son départ, sans préciser si la représentation théâtrale a effectivement eu lieu ou non, et ce n’est que plus tard dans le roman que Julia Elliot ­lui demande : « Etiez-vous là quand ils ont joué la pièce de Mr. Wortley? », question à laquelle elle finit par répondre elle-même : « Oh non, bien sûr que non — au dernier moment, avez-vous su — vous avez dû rejoindre votre mère, je m’en souviens, à Harrogate… Au dernier moment, comme je disais, juste quand tout était prêt, les vêtements terminés et tout le reste…27 »

  2. « Au dernier moment », au moment que Benjamin considère comme le plus propice pour faire ses jeux, Jacob se retire du champ de la pièce de théâtre. Un pari qui serait simplement envisagé, sans jamais être concrétisé, constitue-t-il également une forme de spéculation ? Ou bien serait-il une manière de se retirer du champ du futur, en refusant d’assumer son rôle dans ce qui est à venir ? Jacob est-il ou n’est-il pas joueur ? Je reviendrai à cette question à la fin.  

  3. D’abord, j’aimerais interroger la manière dont Woolf représente la temporalité du pari. Dans La Chambre de Jacob, la vision rétrospective de la vie de Jacob signifie que tous les paris sont situés dans le passé : incontestablement, les jeux sont faits. Cela devrait vouloir dire que la probabilité est devenue certitude. Mais au lieu de cela, c’est l’inverse qui se produit. Dans La Chambre de Jacob comme dans Ulysse, le récit d’un pari fait dans le passé révèle finalement plutôt l'incertitude de son effet sur l’avenir. Peut-être n'a-t-il tout simplement pas eu lieu, comme le pari sur les courses de bateau. S’il a effectivement eu lieu, comme le pari portant sur le fait que le « jeune homme qui avait d’épaisses lunettes et une moustache rousse » avalera ou n’avalera pas un bégonia, ses conditions exactes en restent au stade du débat : avant le poisson ou avec le poisson ? Il est possible que personne ne se souvienne du résultat, ou que l’issue n’ait pas grande importance (nous nous moquons pas mal, par exemple, que Mr Erskine soit capable ou non de nommer vingt sons qui se font entendre par une nuit été, même si nous avons plaisir à lire ses tentatives). Et même lorsque Charlotte prédit la participation de Jacob à la pièce de théâtre, il s’avère prématuré de parler de pari gagné.

  4. La seule autre mise en jeu28 du roman a lieu lors d’un pari que Florinda fait avec elle-même, gageant qu’elle lira une page de Shelley avant de manger un chocolat fourré :

lorsque Florinda fut rentrée chez elle ce soir-là elle commença par se laver la tête ; puis mangea des chocolats fourrés ; puis ouvrit Shelley. La vérité, c’est que cela l’ennuya horriblement. De quoi cela pouvait-il bien parler ? Elle dut se mettre au défi de tourner la page avant d’en manger un autre. En fait elle s’endormit29.

  1. Florinda ne remporte pas la mise en jeu portant sur sa propre détermination à lire une autre page de Shelley, mais le pari suffit à faire d’elle une adepte du jeu. Ce personnage (qui est, de tous les personnages du roman, celui qui subit le plus de railleries quant à son manque supposé d’« esprit30 », à la fois de la part de Jacob, de celle du narrateur, mais également du lecteur crédule) vit dans un monde de plaisirs, régi par les sensations et les préjugés. Pour Jacob, elle représente un problème « insoluble » : le problème du désir31. Mais si Florinda est un « problème […] insoluble », c’est aussi parce qu’elle représente un futur incertain. Ainsi que le révèle un bref incident qui a lieu à Soho, Jacob se révèle hermétique aux enjeux de la spéculation :

c’était une nuit humide de novembre. Les réverbères de Soho laissaient de grandes traces huileuses de lumière sur le trottoir. Les rues adjacentes étaient suffisamment obscures pour abriter hommes ou femmes appuyés dans l’embrasure des portes. L’une d’elles se détacha au moment où s’approchaient Jacob et Florinda.

« Elle a laissé tomber son gant », dit Florinda.

Jacob, s’avançant vers elle, le lui donna.

Elle le remercia très chaleureusement ; revint sur ses pas ; laissa de nouveau tomber son gant. Mais pourquoi ? Pour qui32 ?

  1. L’incapacité de Jacob à comprendre les spéculations de la femme qui, dans cette rue de Soho, sont probablement d’ordre commercial, l’exclut du monde du hasard. Par contraste, Florinda fait partie intégrante de ce monde, et, alors que le roman touche à sa fin, son absence d’« esprit » fait de plus en plus ressortir l’impossibilité pour Jacob de comprendre les lois de la probabilité. Alors même que celui-ci y demeure imperméable, le « hasard » semble se concentrer autour de Jacob, comme lorsque le narrateur s’interroge à propos de la vieille femme qui fait le ménage chez Bonamy, témoin d’une dispute entre lui et Jacob : « quelle chance y-a-t-il » nous demande-t-on, que Mrs. Papworth, qui fait le ménage chez Richard Bonamy, « rapporte fidèlement » la discussion qui a lieu entre les deux personnages : « Il lui laisse rien comme chance à Bonamy33 », se dit-elle.

  2. Fanny Elmer tente d’apercevoir Jacob en flânant près de chez lui : « elle avait traîné dans le voisinage du Foundling Hospital, guettant l’occasion de voir Jacob descendre la rue, sortir sa clef et ouvrir la porte34 ». Les voitures du train italien où voyage Jacob « la chaleur devient épouvantable quand le soleil de l’après-midi leur tape dessus, et il y a de grandes chances qu’avant que la locomotive soit parvenue en haut du défilé la chaîne d’attelage cliquetante se sera rompue35 ». Clara Durrant « surtout à cause (c’est ce que disaient les colporteurs de caractère) de l’influence de sa mère, n’[a] encore jamais eu l’occasion de rien faire de son propre chef36 ».

  3. Presque toutes les données du roman sont placées sous le signe de la probabilité. Un bateau à vapeur qui traverse l’horizon « fait route sans doute vers Cardiff37 ». Une « petite femme aux pommettes roses » à la fête donnée par les Durrant « est sans doute une gouvernante38 ». « Probablement, dit Jacob, que nous sommes les deux seules personnes au monde à savoir ce que les Grecs voulaient dire39. » Ce que les mères (ici celle de Jacob, Betty Flanders) ne peuvent écrire est « sans doute ceci — Ne va pas avec les femmes de mauvaise vie, sois bien sage; porte bien tes chemises chaudes; et reviens, reviens, reviens vers moi40 ». Considérant la foule urbaine : « si jamais vous obliquez dans l’une des petites avancées qu’il y a sur Waterloo Bridge pour réfléchir à cette question, cela vous paraîtra sans doute tout un brouillamini — tout un mystère41 ». L’argent qui permet à Jacob de voyager « allait probablement » s’épuiser42. « Étendu de tout son long au sommet de la montagne, complètement seul, Jacob éprouvait un immense bien-être. Il n’avait probablement jamais été si heureux de toute sa vie43. »

  4. Le mot « peut-être » apparaît plus de cent fois dans le texte44. L’expression « sans doute », employée plus de cinquante fois, plutôt que de lever le doute, en ramène plutôt toujours la possibilité. Toute manifestation de certitude est traitée sur le mode sceptique. L’ironie est particulièrement aiguë quant à l’ensemble des certitudes qui caractérisent l’existence de Jacob, comme si la certitude était un signe d’ignorance, de naïveté, ou de vœux pieux. Dans la chapelle de King’s College, « Quels visages sculpturaux, quelle assurance, quelle autorité modérée par la piété, bien que ce soient de grosses chaussures qui vont d’un pas résolu sous les toges45. » Jacob, se promenant au bord de la rivière après le déjeuner chez les Plumers « se pénètre à chaque pas, quand il marche le long de la rivière, d’une telle certitude inaltérable, d’une telle sérénité qui lui vient de tout côté46 ». A propos des étudiants de Cambridge on demande : « Est-ce qu’ils lisaient? Il y avait certainement dans l’air un sentiment de concentration. »47 A Londres : « Rien ne pourrait paraître plus assuré du haut des marches de St. Paul que le fait que chaque personne est miraculeusement pourvue d’un manteau, d’une jupe et de bottines ; d’un revenu ; d’un projet48. » La digression où il est question des lettres, au chapitre 8, pose cette question : « quelque chose chuchote : Est-ce là tout ? Ne puis-je jamais savoir, partager, être certain49 ? » Il s’agit là d’une question rhétorique, puisque la réponse ne peut être que non. Tout comme, malgré la confiance dans le fait que le parapluie déposé à l’entrée de la British Library « sera certainement retrouvé50 », la certitude qu’il le sera n’est jamais totale.

  5. Il s'agit de déterminer la raison pour laquelle le roman est écrit sur un mode aussi spéculatif, dans la mesure où le sujet du roman ne serait rien d’autre que la transformation de Jacob en objet de commémoration. Pour répondre à cette question, il nous faut retourner à l’expérience de la défaite qui a constitué le point de départ de mon questionnement. Dans son ouvrage intitulé Pour défendre les causes perdues, Slavoj Žižek évoque ce paradoxe :

une orientation révolutionnaire vers l’avenir n’est-elle pas l’antipode même de l’attachement mélancolique au passé ? Et si, pourtant, l’avenir auquel on devrait fidélité était l’avenir du passé lui-même, à savoir le potentiel émancipateur qui demeura irréalisé à cause de l’échec des tentatives d’émancipation passées, et qui, pour cette raison, continue de nous hanter51 ?

  1. Pour Žižek, c’est au futur antérieur qu’il convient de parler de la défaite, dans la mesure où ce temps exprime « l’avenir du passé lui-même ». La Chambre de Jacob semble cependant inaugurer un temps grammatical nouveau, plus radical encore peut-être que le futur antérieur de Žižek : nous pourrions l’appeler le « spéculatif antérieur ». Afin de permettre le retour des possibilités contenues dans le passé, le texte revient au moment ultime qui précède le moment décisif où les jeux sont faits : au moment où, pour revenir à l’analogie de la table de roulette de Benjamin, tous les numéros gagnants sont disponibles, où un avenir est encore possible, où nous faisons l’expérience de « l’innervation vive comme l’éclair dans le danger : le cas limite dans lequel la présence d’esprit ([Geistesgegenwart, ndla]) devient divination, c’est-à-dire l’un des suprêmes instants et des plus rares de la vie52 ».

  2. Mais après la guerre, après la mort de Jacob, les paris sont-ils tous perdus? Tout dépend de la manière dont on lit le roman. Etrangement, l’opposition entre probabilité et certitude dans le roman montre bien à quel point Jacob paraît imperméable au paradigme du hasard qui se cristallise autour de lui. Ce n’est pas la probabilité qui caractérise Jacob, mais plutôt une adhésion terriblement rigide à la certitude, ainsi que le montre la détermination qui le pousse, petit garçon, à s’éloigner « de plus en plus, jusqu’à ce qu’il tînt le crâne dans ses bras53 ». Il existe très peu de représentations de la pulsion de mort en littérature qui soient aussi captivantes que celle-ci, ce mouvement incertain « s’éloignant de plus en plus » qui pourtant mène irrémédiablement droit à la tête de mort.

  3.  Si l’on examine dans cette perspective le véritable sujet du roman, traité avec sobriété, c’est-à-dire la guerre, la marche de Jacob vers la guerre paraît alors porteuse de toutes les autres « certitudes » de la nouvelle : celles de Cambridge, des auteurs classiques, des prérogatives masculines et bourgeoises. L’incertitude demeure la zone où se situe ce que, dans un autre roman, nous pourrions appeler les personnages périphériques, mais qui deviennent ici des personnages centraux, parce que Jacob lui-même est un centre absent. La probabilité est l’apanage de Florinda, personnage déloyal et dissipé, tout à la recherche du plaisir, de Clara Durrant, de Richard Bonamy, à qui Jacob « laisse rien comme chance », de Fanny Elmer qui espère rencontrer la chance, de Betty Flanders dont la chance appartient au passé, ou encore de la jeune femme anonyme, qui laisse tomber son gant dans l’espoir… mais de quoi ? Tous ces personnages survivent tandis que Jacob meurt, et avec eux survivent tous les paris irrésolus d’avant la guerre, toutes les chances et les probabilités dont Jacob s’était tenu à distance. Ce que cette lecture spéculative du roman met à jour, ce n’est plus une transformation de Jacob en objet de commémoration, mais une lecture critique des certitudes du personnage, et de la conviction qui l’a poussé à partir à la guerre. Une certitude qui, à la fin du roman, paraît difficilement croyable pour Richard Bonamy :

Il a tout laissé exactement comme c’était, s’étonna Bonamy. Rien n’a été rangé. Toutes ses lettres éparpillées pour quiconque veut les lire. Qu’est-ce qu’il croyait ? Est-ce qu’il pensait qu’il allait revenir? dit-il pensivement, debout au milieu de la chambre de Jacob54.

  1. Jacob laisse derrière lui un amas de choses éparpillées, « Un tel désordre partout ! » s’exclame Betty Flanders, mais aussi un amas de gens dispersés qui conservent, quant à eux, le pouvoir d’actualiser les potentialités du passé. Ce n’est qu’en retournant à la temporalité du « dernier moment » de Woolf et de Benjamin, que ces possibilités peuvent être réactivées. Ce n’est qu’à ce moment particulier, au moment où Geistesgegenwart devient divination, que la présence d’esprit s'avère capable de ré-ouvrir l’avenir.

  2. La dichotomie par laquelle Jacob, en tant que principe monologique, s’oppose à la polyphonie des possibilités qui survivent à la guerre n’est probablement pas aussi drastique que ce que j’en ai montré dans ma lecture. Il faudrait probablement se prémunir contre la tentation d’ignorer, à cause des correspondances apparentes qui amènent à comparer l’attitude de Woolf vis-à-vis de la défaite à celle de Benjamin, la difficulté et la singularité des tâches auxquelles chacun des deux auteurs s’est livré. Trouver les ressources pour dépasser l’expérience de la défaite, et, pour la traverser, se frayer un chemin par la pensée ; créer une esthétique qui résiste à la fermeture de l’avenir en ouvrant les possibilités contenues dans le passé : il ne s’agit certainement pas là de tâches aisées. Je ne suis certainement pas parvenu à rendre justice à ces textes, pas plus qu'aux points de jonction où ils s'apportent un éclairage mutuel. Je pense que l’on peut affirmer, en toute équité, que j’ai perdu mon pari de classer Woolf parmi les philosophes. J’ai perdu mon pari contre vous : cela signifie que cet article, comme tout jeu de hasard, ne peut se solder que par une déconvenue de part et d'autre, pour l’auteur comme pour le lecteur. Mais en tant que perdant, il me reste tout du moins le privilège d’« éprouv[er], avec jouissance, un certain sentiment de légèreté, pour ne pas dire de soulagement », à l’idée qu’ « il pèse au joueur d’avoir gagné55. »

 

Traduit par Juliana Lopoukhine

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1 S. McCracken, Masculinities, Modernist Fiction, and the Urban Public Sphere; P. Buse et al., Benjamin’s Arcades: An Unguided Tour.

2 W. Benjamin, « Notes pour une théorie du jeu », W. Benjamin, Fragments philosophiques, politiques, critiques, littéraires, 235-239.

3 W. Benjamin, Paris: capitale du XIXème siècle : le livre des passages, 508-532.

4 W. Benjamin, Sens unique ; « Le Surréalisme » ; « Sur le concept d'histoire ».

5 P. Anderson, « Confronting Defeat » ; P. Anderson, « Renewals, » ; R. Koselleck, « Transformations of Experience and Methodological Change: A Historical-Anthropological Essay, » The Practice of Conceptual History: Timing History, Spacing Concept ; W. Schivelbusch, The Culture of Defeat: On National Trauma, Mourning and Recovery.

6 A. Badiou, L'Hypothèse communiste ; S Žižek, Pour défendre les causes perdues.

7 Il est par ailleurs intéressant de noter que le terme allemand « Niederlage », signifie justement cela.

8 W. Benjamin, « Le Surréalisme ».

9 M. Bratu Hansen, « Room-for-Play: Benjamin’s Gamble with Cinema », 10.  Notre traduction [JL].

10 W. Benjamin, « Notes pour une théorie du jeu », 236-237.

11 W. Benjamin, Ibid., 236.

12 W. Benjamin, Le Livre des passages, [O4a] 516.

13 W. Benjamin, « Notes pour une théorie du jeu », 235-236.

14 "Throwaway" en anglais est composé du verbe "throw", qui signifie jeter et de l'adverbe "away" qui signifie « au loin » ou « dans une autre direction » (note de la traductrice).

15 "a throwaway" dans le texte anglais (ndt).

16 J. Joyce, Ulysse, 191-3.

17 Ibid., 112.

18 Bien qu’il y ait de fortes allusions au fait qu’il soit impliqué dans une loterie frauduleuse, « La loterie royale et privilégiée de Hongrie », et même qu’il ait pu y avoir gagné de l’argent. J. Joyce, Ulysse, 389.

19 W. Benjamin, Le Livre des passages, [O13, 5] 531.

20 V. Woolf, La Chambre de Jacob, 929.

21 Ibid., 943.

22 Traduction modifiée pour cette phrase, traduite dans l'édition citée par « Charlotte ne veut pas te payer » (ndt).

23 Ibid.

24 Ibid., 945

25 Ibid., 946.

26 Je pense bien sûr ici à Mansfield Park, où une pièce de théâtre jouée en l’absence du maître de maison, Sir Thomas Bertram, permet au désir d’émerger au grand jour.

27 Ibid., 973.

28 En anglais, un pari peut se traduire par « bet », terme très courant, ou par « wager » (que nous avons choisi de traduire ici par « mise en jeu » — ndt), auquel des connotations plus ou moins sérieuses sont associées. Certaines significations anciennes de « wager » comme « promesse ou engagement solennel » font encore résonner ces connotations. On peut alors parler ici, comme d’un mauvais présage, d’un « pari avec la mort ». Son utilisation en lien avec Florinda se révèle alors ironique, mais nous verrons que la voix narrative dans La Chambre de Jacob est loin d’être fiable.

29 Ibid., 963.

30 Ibid., 964.

31 Voir la fin du chapitre VI qui commence par « Le problème est insoluble. Le corps est attelé à un cerveau » et se termine par : « Mais quand elle le regarda, muette, devinant à demi, comprenant à demi, s’excusant peut-être, en tous cas disant comme il l’avait dit : “Ce n’est pas ma faute à moi”, dressée dans la beauté de son corps, le visage comme un coquillage, serré dans son bonnet, alors il sut que cloîtres et grands auteurs ne servent à rien du tout. Le problème est insoluble. » Ibid, 967.

32 Ibid., 966.

33 Ibid., 986.

34 Ibid., 1005.

35 Ibid, 1019. Italiques de l’auteur.

36 Ibid., 1039. Italiques de l’auteur.

37 Ibid., 937. Italiques de l’auteur.

38 Ibid., 943. Italiques de l’auteur.

39 Ibid., 960. Italiques de l’auteur.

40 Ibid., 975. Italiques de l’auteur.

41 Ibid., 997. Italiques de l’auteur.

42 Ibid., 1020. Italiques de l’auteur.

43 Ibid, 1028. Italiques de l’auteur.

44 Je suis reconnaissant à Judith Allen de m’avoir indiqué que « peut-être » est l’un des mots les plus employés chez Woolf.

45 Ibid., 916.

46 Ibid., 920.

47 Ibid., 927.

48 Ibid., 950.

49 Ibid., 977.

50 Ibid, 993. Italiques de l’auteur.

51 S. Žižek, Pour défendre les causes perdues, 240.

52 W. Benjamin, « Notes pour une théorie du jeu », 237.

53 Ibid., 894.

54 Ibid., 1061.

55 W. Benjamin, « Notes on a Theory of Gambling », 297 / 235-236.



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