Réflexions sur une double transfiguration cognitive en pragmatique

Bruno Ambroise

CNRS, CURAPP-ESS, UMR 7319

Introduction

  1. La pragmatique, en tant que telle, est une discipline récente dont la place s’est peu à peu affirmée depuis les années 1960-1970 au sein des sciences du langage1, au point d’en faire désormais partie intégrante – sans que les multiples débats à propos de son statut ne soient véritablement tranchés. En règle générale, la pragmatique est considérée comme la partie des sciences du langage qui vient étudier des phénomènes que les autres composantes n’étudieraient pas, notamment le rôle du contexte et du locuteur dans les phénomènes signifiants. Ainsi, la pragmatique est censée venir compléter la syntaxe et la sémantique (entre autres programmes de recherche).

  2. Toutefois, le rôle ainsi attribué à la pragmatique n’est pas neutre2 ; mais il tient aussi à l’histoire de celle-ci et aux bouleversements conceptuels qui l’ont affectée : les ambitions initiales, très radicales, ont été revues à la baisse pour être rendues compatibles avec un compagnonnage de bon aloi avec les autres sous-disciplines de la linguistique. Ainsi, alors que la « révolution pragmatique » entendait expliquer tout un ensemble de phénomènes linguistiques en faisant appel à des éléments extérieurs au langage, et en prenant notamment en compte le contexte social, on considère désormais le plus souvent que le contexte social vient affecter « de l’extérieur » des phénomènes linguistiques indépendants. Surtout, à la faveur de la révolution cognitive qui est intervenue à partir de la fin des années 1970, on a procédé à une internalisation de plus en plus prononcée des conditions pragmatiques des énoncés : alors que, dans les années 1950-1960, on soulignait avec J.-L. Austin les conditions socio-institutionnelles et matérielles qui affectaient la réussite des énoncés, on en est venu à considérer, déjà avec J. R. Searle, que le rôle déterminant ressortissait à des conditions d’ordre mental ou cognitif, telles des croyances ou des intentions.

  3. Nous voudrions revenir ici sur deux phénomènes dont l’explication en pragmatique a suivi cette évolution : l’action accomplie par le discours – ce qu’on appelle depuis Austin les « actes de langage3 »– et la présupposition. Il s’agira ainsi de montrer comment ces deux phénomènes, qui ont joué un rôle important dans l’apparition d’un modèle d’explication pragmatique, sont passés d’une conceptualisation en termes de conditions concrètes d’usage à une conceptualisation en termes de croyances et de modifications de croyances. Nous le ferons en rappelant d’abord les premières conceptualisations pragmatiques, celles d’Austin et de P. F. Strawson, puis nous retracerons les évolutions des explications données de ces phénomènes pour essayer, en conclusion, de porter un diagnostic à l’égard de cette évolution qu’on pourra qualifier de « transfiguration cognitive », tant les phénomènes étudiés sont de plus en plus retranscrits en termes purement cognitifs.

La révolution pragmatique et la prise en compte du contexte réel de la parole

Découverte de l’aspect actif de la parole : la parole agit et ce que cela veut dire

  1. Si R. Morris est le premier à avoir dégagé un domaine d’étude du langage qui prend en compte les phénomènes linguistiques non étudiés par la sémantique, reste que sa proposition fut essentiellement programmatique. Il revient à Austin d’avoir été un des premiers4 à étudier pour eux-mêmes certains de ces phénomènes en leur accordant une importance décisive. En effet, au cours d’un séminaire commun avec le philosophe du droit H. L. A. Hart à la fin des années 1940, il mit au jour ce qu’il appelle des « énoncés performatifs », qui se distinguent de manière radicale des autres énoncés, ou du moins de la compréhension qu’on en avait.

  2. La plupart des énoncés sont en effet considérés, par l’analyse logico-sémantique5 alors dominante, comme étant sensés dès lors qu’ils sont porteurs d’une signification analysable en termes de conditions de vérité. Aussi, selon cette analyse, leur principal objet est-il de décrire le monde (de manière vraie ou fausse) : on considère alors qu’un énoncé est descriptif ou n’a pas de sens, puisque le sens est défini par des les conditions de vérité de cet énoncé. (C’est l’idée selon laquelle l’énoncé « La neige est blanche » signifie que la neige est blanche, parce qu’il vrai si et seulement si la neige est blanche.)

  3. Or, Austin insiste sur le fait qu’il existe toute une gamme d’énoncés qui ne décrivent rien, qui n’ont donc pas de conditions de vérité, et qui pourtant sont tout à fait sensés ; c’est le cas par exemple des promesses, des baptêmes, des ordres, etc. Une promesse, ou un baptême, ne décrit rien – puisque de toute façon, il n’y a pas de promesse à décrire avant que la promesse ne soit accomplie. Cela tient précisément au fait que la promesse fait quelque chose – en l’occurence, une promesse qui, à la rigueur, une fois qu’elle est accomplie, peut être décrite. Mais la promesse elle-même est bien le résultat d’un énoncé – et seulement d’un énoncé. Cet énoncé promissif peut même être considéré comme « faisant ce qu’il dit » : en disant « je promets », je promets. De la même façon, en disant « je baptise », je baptise. L’acte est réalisé du fait même de dire. Dès lors, ces énoncés ne sont ni vrais, ni faux – et ne peuvent même pas être évalués en fonction de la vérité. Bien plutôt, comme le dit Austin, ils doivent être analysés en fonction de leur « félicité », c’est-a-dire en fonction de leur réussite : un énoncé de promesse est réussi ou raté, pas vrai ou faux. C’est la raison pour laquelle il ne doit pas être analysé en termes de conditions de vérité, mais bien plutôt en termes de conditions de félicité. Ce type d’énoncé, qui fait en disant (et qui fait souvent ce qu’il dit), est qualifié par Austin « d’énoncé performatif 6 ».

  4. On le comprend, Austin met ainsi au jour toute une strate d’énoncés qui ne sont pas susceptibles d’être vrais ou faux et ce parce qu’ils accomplissent de véritables actes en étant prononcés. On se retrouve donc dans le cadre d’une analyse du langage déportée vers l’action réalisée par celui-ci. L’important, avec ces énoncés, n’est pas tant ce qu’ils disent que ce qu’ils font. C’est pourquoi Austin sera conduit à prolonger son analyse en les qualifiant plus proprement « d’actes de langage » : des actes faits au moyen du langage. Austin en viendra même à élargir la portée de son analyse initiale pour montrer que tout énoncé, y compris celui à l’ambition la plus descriptive, est en fait d’abord un acte de langage réussi qui peut être évalué selon certaines dimensions de réussite, y compris, parfois, la dimension de la vérité7. Ainsi, tout énoncé réussi est qualifié d’acte de langage et parler, c’est avant tout faire des choses dans le monde.

  5. Peu importe le détail de l’analyse, ce qui nous importe ici, c’est le fait que parler entraîne une véritable modification de l’état du monde8. L’usage du langage ne consiste donc pas seulement à dire quelque chose par son moyen, mais également à faire quelque chose. Il ne faut bien sûr pas confondre l’aspect actif découvert ici avec les aspects rhétoriques relevés et étudiés depuis fort longtemps par la tradition philosophique et littéraire. Il ne s’agit pas, en effet, d’un type d’action dont les effets relèvent de la conviction ou de la persuasion de l’auditeur. Si l’auditeur a bien un rôle dans la production des effets qu’on appelle avec Austin « illocutoires », ceux-ci, d’une certaine façon, s’imposent à lui plus qu’ils n’en dépendent : alors que les effets rhétoriques dépendent en bonne part de la psychologie de l’interlocuteur (et de l’agilité technique du locuteur dans son usage des procédés rhétoriques), comme l’avait déjà souligné Aristote9, les effets « illocutoires » dépendent pour leur part de conventions qui s’imposent à l’interlocuteur (comme au locuteur, d’ailleurs). Si, par exemple, un maire, dans la République Française, vous déclare officiellement mariés, alors vous êtes officiellement mariés, sans que vous puissiez quoi que ce soit à l’encontre de la production de cet effet. Les choses sont plus claires encore avec la condamnation, autre acte illocutoire : si un juge vous déclare coupable, alors vous êtes coupable (et passible des sanctions associées au verdict). Autrement dit, l’effet de l’acte illocutoire a une consistance différente de l’effet rhétorique, en ce qu’il est produit selon des modalités et suivant des principes bien différents10. Cela tient notamment à ce qu’il dépend de conventions.

Les conventions des actes de langage et leur dimension intrinsèquement socio-historique.

  1. Lorsque Austin « découvre » les actes de langage, il le fait de manière négative en remarquant que certains énoncés peuvent, non pas être faux, mais échouer. Ce faisant, il découvre une caractéristique non représentationnelle de ceux-ci qui permet de les qualifier en termes d’actes, car seul un acte peut échouer. Mais, plus encore, cela lui permet d’échapper à une caractérisation purement linguistique des énoncés qui prétend les analyser de manière indépendante de l’état du monde en considérant leurs seuls composants langagiers. Dans une volonté résolument réaliste11, Austin entend au contraire montrer qu’en tant qu’actions, les énoncés qui servent à faire des actes de langage font partie du monde et, à ce titre, ont des conditions qu’on peut dire « matérielles ». En l’occurrence, Austin insiste sur des conditions socio-institutionnelles – les fameuses « conditions de félicité » –, qui permettent de définir une procédure (linguistique ou pas) appropriée pour réaliser tel ou tel acte de langage. L’enjeu est ici de réussir à comprendre l’objectivité réelle des actes de langage, dont les effets, on l’a noté, s’imposent à l’ensemble des locuteurs et ne dépendent pas seulement de la subjectivité de chacun. Il convient donc de comprendre en quoi, d’une certaine façon, les effets des actes de langage exercent une certaine forme de résistance à l’encontre de la volonté des locuteurs. Comme l’avait déjà noté A. Reinach, c’est un indice du caractère non seulement intersubjectif des actes réalisés, mais bel et bien social12. Certes, Reinach entendait par là caractériser des actes de langage foncièrement juridiques, qui s’imposent avec toute l’autorité du droit13. Mais le raisonnement est généralisable et il est implicite chez Austin : si un acte de langage a des effets objectifs qu’on ne peut récuser à volonté, c’est parce que leur validité ne dépend pas seulement du locuteur (ou de l’interlocuteur), mais d’une relation entre les deux telle qu’elle est définie par une convention14.

  2. Sont ainsi réglées conventionnellement plusieurs conditions pour qu’un acte de langage réussisse, c’est-à-dire prenne effet : notamment, il doit exister une procédure admise et reconnue, faite au moyen de mots prononcés par certaines personnes dans certaines circonstances et dotée d’un certain effet15. Ainsi, quiconque n’est pas autorité à dire n’importe quoi dans n’importe quelle circonstance pour réussir à produire un certain effet – par exemple, un ordre ou une promesse. Je ne peux accomplir un ordre que si je prononce certains mots dédiés à cet effet, que si je suis une personne autorisée à donner des ordres et seulement si les circonstances s’y prêtent. Je ne peux donc pas donner un ordre si je suis un enfant qui désire que mes parents rangent ma chambre (et si je suis trop jeune pour maîtriser la formule linguistique permettant de formuler un ordre). De la même façon, je ne parviens pas à promettre, c’est-à-dire, concrètement, à créer un engagement de faire ce que je dis que je ferai, si je suis considéré comme parjure, si je ne formule pas une formule engageante (du type « je promets de... ») ou si les circonstances sont telles que ce que je promets est irréalisable (ou déjà réalisé).

  3. Autrement dit, la force illocutoire d’un acte de langage – soit ce qu’il fait en tant qu’acte – ne dépend pas seulement des mots utilisés pour l’accomplir, mais bien plutôt du réglage conventionnel qui associe certains mots à certains effets, avec certaines personnes dans certaines circonstances16. Ce n’est donc pas parce que je dis que je promets (ou « je promets ») que je promets, mais seulement parce qu’il existe une convention particulière qui veut que la prononciation de ces termes dans certaines circonstances par certaines personnes entraîne certains effets. L’engagement produit par la promesse ne dépend pas de la signification des mots utilisés mais d’une convention particulière qui attache cet engagement à la prononciation de ces mots, d’une manière relativement arbitraire. Pour le dire autrement, les mots, pour signifiants qu’ils soient, n’ont pas la force de créer, à eux seuls, l’objectivité de l’engagement promissif. Et cela vaut pour l’ensemble des forces illocutoires, y compris, selon Austin, pour la force assertive : je ne fais pas une assertion à raison de ce que je dis, mais en fonction de ce que je fais, qui est conventionnellement réglé.

  4. Or, pour Austin, ces conventions, n’étant ni des règles strictement sémantiques, ni des réquisits tenant au fonctionnement naturel de l’esprit humain, sont sociales également en ce qu’elles sont historiques : elles ne sont ni intemporelles, ni universelles. Comme il le remarque à plusieurs reprises au cours de ses recherches, les énoncés dits « performatifs » sont apparus au cours de l’histoire humaine, ont pu disparaître et n’existent pas de la même façon au sein des différentes civilisations et donc des différents langages. L’existence des actes de langage dépend de conventions passées ou non au sein des sociétés et des performatifs qui existent dans certaines sociétés n’existent pas dans d’autres, ou peuvent avoir disparu. Un des exemples donnés par Austin est celui qu’on peut qualifier de « déclaration de duel » : alors que cet acte de langage ne semble pas (ou plus) exister dans la société anglaise du 20ème siècle (ni dans la société française du 21ème siècle), une formule particulière permettait d’opérer cet acte (mi-offensant, mi-engageant) dans l’Allemagne du 19ème siècle17. Ces différences linguistico-pratiques sont relativement bien documentées par l’anthropologie linguistique, à commencer par les travaux de B. Malinowski18. Cette inscription historique des conditions des actes de langage ajoute alors à leur dimension anthropologique : ils sont les produits de l’histoire humaine et ont des conditions de réalisation qui dépendent de ce que les êtres humains, à un moment donné de leur histoire, dans une certaine société, ont jugé bon de pouvoir accomplir au moyen du langage. À ce titre, ils s’apparentent à de véritables rituels.

  5. Bien loin d’être les effets intrinsèques d’une langue autonome et indépendante de ses conditions socio-historiques, les actes de langage sont donc les produits contingents de l’histoire des pratiques humaines, qui engrènent le langage à tout un complexe socio-historique de conventions et de conditions matérielles de réalisation.

Les présuppositions comme conditions concrètes de  l’énonciation située

  1. La compréhension pragmatique du langage ne s’est pas contentée de révéler les conditions concrètes des actes de langage ; elle a aussi insisté sur l’aspect concret des conditions de toute énonciation ayant des présupposés.

  2. C’est au cours d’un débat technique entre B. Russell et P. F. Strawson que ce conditionnement pragmatique est apparu clairement. Russell entendait montrer que les énoncés du type « Le roi de France est chauve » contenaient une affirmation implicite selon laquelle « Il existe un roi de France », qui permettait de déterminer la valeur de vérité du premier énoncé (fausse s’il n’existe pas de roi de France)19. Là-contre, Strawson s’est élevé en montrant qu’il ne s’agissait pas d’une affirmation sous-jacente, mais d’une présupposition d’existence, dont le caractère non-vérifié empêchait même de doter l’énoncé d’une quelconque valeur de vérité (l’énoncé « Le roi de France est chauve » ne peut alors être ni vrai ni faux)20.

  3. Quel est l’enjeu de ce débat qui semble purement logique ? Il s’agit de savoir selon quel principe fonctionne le langage : son bon usage dépend-il seulement de ce qu’il dit (et donc de sa sémantique) ou bien dépend-il d’autres principes, moins immédiatement évidents (en l’occurrence, pragmatiques) ? Si l’on suit l’analyse proposée par Russell, tout énoncé prédicatif (qui attribue une propriété P à un sujet S) contient, de manière implicite, l’assertion de l’existence du sujet S de l’énoncé « S est P ». Dans ce cas, on peut dire si l’énoncé est vrai ou faux selon que l’assertion d’existence est vraie ou fausse. Or, Strawson conteste ce point en arguant que, face à ce type d’énoncé, on ne sait pas dire s’il est vrai ou faux lorsque son sujet n’existe pas : si aucun roi de France n’existe, alors on ne peut pas dire que la phrase « Le roi de France est chauve » est fausse (pas plus qu’on ne peut dire qu’elle est vraie).

  4. Il s’agit d’un argument pragmatique, c’est-à-dire qui tient à l’usage du langage : on ne dit pas d’un énoncé prédicatif sans référence qu’il est faux, mais qu’il est utilisé à mauvais escient, c’est-à-dire qu’il ne respecte pas certaines conditions de son usage correct, en l’occurence l’existence du sujet de la prédication. Cela semble assez évident : on ne peut pas parler d’une propriété de quelque chose qui n’existe pas. Mais l’enjeu, d’un point de vue analytique, est important : s’il ne s’agit pas d’une question de vérité ou de fausseté, alors il ne s’agit pas d’une question sémantique (dans ce cadre de pensée, selon lequel le sens d’une phrase détermine ses conditions de vérité). C’est qu’il s’agit plutôt d’une question d’ordre pragmatique, qui tient donc à l’usage, approprié ou pas, de la phrase dans le contexte d’utilisation. Autrement dit, il ne s’agit pas d’une question d’assertion implicite mais de présupposition d’utilisation : il n’y a, selon Strawson, aucune assertion implicite quant à l’existence du roi de France dans la phrase « Le roi de France est chauve » ; mais, par contre, son usage implique qu’il existe, c’est-à-dire qu’il présuppose l’existence d’un roi de France dont on puisse parler. Cela n’aurait pas de sens de dire d’un roi de France qu’il est chauve si ce roi de France n’existait pas, parce qu’on ne respecterait alors pas les conditions concrètes d’utilisation de la phrase : pour résumer grossièrement l’argument, on ne parle pas pour ne rien dire !

  5. Bref, avec Strawson, ce qui est présupposé, c’est que les conditions d’usage correct d’un énoncé pour dire quelque chose sont remplies21. En ce sens, Strawson, au moyen de l’analyse de la présupposition, renvoie à un contexte objectif d’usage, au sein duquel un certain nombre de choses doivent être réalisées pour que l’usage soit correct – toutes choses qui ne sont pas, et ne peuvent pas, être dites dans l’énoncé. Or, c’est là le modèle du fonctionnement des actes de parole selon Austin, qui se situent précisément au niveau des « énoncés » de Strawson.

  6. En effet, on l’a vu dans la section précédente, Austin identifie des conditions de félicité que les actes de langage doivent respecter pour réussir à avoir des effets. Ces conditions doivent être remplies pour que l’acte soit accompli. En ce sens, dès lors qu’un acte de langage donné est accompli – ou prétend être accompli –, ces conditions sont censées être remplies et sont donc des présupposés de tout locuteur qui s’engage dans la réalisation de cet acte.

  7. En réalité, dans How To Do Things With Words, Austin distingue même plusieurs niveaux de choses entraînées par l’énonciation d’un acte de langage : les présupposés (« what is presuposed »), les sous-entendus ou implications (« what is implied »), les choses impliquées (« what is entailed »), etc. Ce qui nous importe ici, c’est que tout ce dont il parle sous ce chapeau renvoie à des éléments réels du contexte d’exécution de l’acte, sur lesquels il insiste quand il dit que tout acte de langage, qu’il soit une assertion ou pas, a toujours un rapport étroit avec les faits.

  8. Reprenant Strawson, il dresse notamment un parallèle entre l’affirmation (comme acte de langage spécifique) et le contrat (comme autre acte de langage), car l’un comme l’autre échouent si ce sur quoi ils portent n’existe pas. Mais, en principe, c’est tous les types d’acte de parole réussis qui doivent se rapporter d’une manière spécifique (et parfois de différentes manières) au réel – rapport au réel qui conditionne la réussite de l’acte de parole. Austin identifie alors ces conditions en disant qu'un acte de parole implique la vérité de certaines affirmations, et que ces affirmations vraies peuvent être sous-entendues de trois manières distinctes22. Austin établit ainsi des distinctions entre trois verbes d'une même famille : entraîner (to entail), laisser entendre ou sous-entendre (to imply) et présupposer (to presuppose). Le premier verbe permet d’identifier ce qu'on appellerait en logique l'implication matérielle, pour la distinguer de toutes les autres formes d'implications. Les actes de langage qui ont pour effet d'entraîner certaines affirmations sont ceux que l'on peut enchâsser dans des raisonnements logiques. Ce sont donc des affirmations qui seraient contradictoires avec la négation des autres affirmations qu'elles entraînent.

  9. Le sous-entendu (ou l’implication) identifie selon Austin un autre rapport au fait déterminé par la condition de félicité Γ.1., selon laquelle un acte de parole donné doit entraîner (impliquer) certaines pensées, certains sentiments, etc. Dire une promesse implique ainsi d’avoir l’intention de la tenir, tout comme faire une affirmation implique la croyance en ce qu’elle asserte. Il s’agit, d’une certaine façon, des conditions « normales » de réalisation de ces énoncés. Mais là encore, il s'agit avant tout d'identifier un fait, c'est-à-dire une condition réelle. Ce qui est impliqué est une condition d'exécution, qui, en tant que telle, n'est ni vraie ni fausse, mais présente ou absente23.

  10. Par ailleurs, un acte de langage ne sous-entend pas seulement certains faits, il en présuppose aussi véritablement d'autres. Et il en va autrement avec ces faits qu'il présuppose : cette fois, leur présence n'est pas seulement sous-entendue (ou impliquée dans un certain sens), elle est nécessaire. Sont alors considérés par Austin comme des présuppositions au sens strict les faits exigés par les conditions de type A1 et A2, selon lesquelles les circonstances doivent être appropriées à l’invocation d’une procédure correspondant à la réalisation d’un acte de parole donné. Ce que présuppose un énoncé, lorsqu’il est réussi, n'est pas une simple croyance (un état mental) du locuteur, dotée d'un contenu cognitif donné (comme si je ne disais « Les enfants de Jean sont chauves » que si je croyais que Jean a des enfants), mais bel et bien la présence des faits satisfaisant aux conditions A1 et A2 : l’idée est que je ne dis vraiment, de manière sensée ou réussie, « Les enfants de Jean sont chauves » que si Jean a bel et bien des enfants, c'est-à-dire si cela est un fait et non pas seulement une croyance. Je peux bien croire que Jean a des enfants : si je prononce cette phrase alors que Jean n’en a pas, celle-ci sera, selon Austin, dépourvue de sens en ce que je ne parviendrai alors pas à faire une acte de parole assertif réussi – je n’asserterai rien.

  11. On voit ainsi que ce qui est présupposé par un acte de parole est, selon Austin, ce qui doit nécessairement être présent (ou réel) : en effet, je n'ai pas fait de promesse si n'existe pas, par exemple, ce sur quoi porte ma promesse, si cela n'est pas présent lorsque je fais ma promesse, si je n’ai personne à qui promettre, etc. De la même façon, je n’ai pas fait d’assertion si n’existe pas, notamment, ce sur quoi porte l’assertion. Dès lors, cette analyse d’Austin le conduit, comme Strawson, à refuser que ce qui est présupposé par un acte de parole soit dit, d’une manière ou d’une autre, par l’énoncé utilisé pour faire l’acte de parole en question24.

  12. On comprend au terme de l’exposition rapide de ces deux analyses pragmatiques réalisées dans les années 1950 qu’elles avaient notamment pour objet de mettre au jour des conditions réelles, concrètes d’usage du langage, et avaient en ce sens l’ambition résolument réaliste de réinscrire celui-ci dans les pratiques quotidiennes des hommes. Ce qui se jouait dans ce type d’analyse, c’était tout à la fois une volonté de réalisme dans l’analyse et la prise en compte du réel mondain. Or, ce type d’analyse, qui est à l’origine de la révolution pragmatique, s’est trouvé contesté, le plus souvent implicitement, plus rarement explicitement25, par des analyses concurrentes, également issues d’un paradigme « pragmatique »26, selon lesquelles il convient de se concentrer plutôt sur les intentions et les croyances des locuteurs pour comprendre l’usage du langage.

La révolution cognitive et la transformation des conditions concrètes d’usage en croyances et intentions partagées

L’action du langage comme échange communicationnel d’intentions.

  1. C’est celui qu'on considère souvent comme le successeur d'Austin, J. R. Searle, qui entreprendra pourtant d'établir une théorie des actes de langage fondée sur des bases bien différentes, en orientant ses travaux dans une voie radicalement mentaliste. Pour Searle, un acte de langage correspond à une entité linguistique composée d'un contenu propositionnel et d'une force illocutoire au statut peu clair27. Searle estime en fait qu'il convient de parler d'acte de langage parce que parler est un « comportement régi par des règles »28, mais la question de l’acte proprement accompli lui est assez étrangère.

  2. Dans son analyse, le contenu propositionnel est conçu, très traditionnellement, de manière extensionnelle, c'est-à-dire en termes de conditions de vérité. La force illocutoire vient alors s'adjoindre au contenu propositionnel pour qualifier l'acte de langage accompli – en fonction de la reconnaissance qu'on lui accorde – et modaliser la façon dont il sera satisfait. Si on prend l'exemple de la promesse faite par l'énoncé « Je promets de faire la vaisselle », l'énoncé a la force illocutoire de la promesse couplée au contenu propositionnel « Je fais la vaisselle », qui est modalisé par la force illocutoire (comme promesse, et par conséquent il porte sur le futur). Si on considère la phrase « Le chat est sur le tapis », dans un certain usage (modalisé par une certaine force illocutoire : celle de l'affirmation), elle forme une assertion selon laquelle le chat est sur le tapis.

  3. Il est censé exister autant de forces illocutoires que de types d'actes de langage, ayant chacun des conditions d'usage et de satisfaction (qui ne sont plus, dès lors, des conditions de félicité) ; et deux actes de langage différents peuvent avoir le même contenu propositionnel et différentes forces illocutoires. Je peux par exemple utiliser le même contenu propositionnel selon lequel « je fais la vaisselle » pour faire une promesse ou une assertion, selon la force illocutoire qui lui est adjointe. Chaque type d'acte n'est alors satisfait qu'en fonction à la fois de la vérification du contenu propositionnel et de la satisfaction de l'acte de langage d'une façon qui est spécifiée par sa force illocutoire : s'il s'agit d'une promesse, alors elle doit être tenue ; s'il s'agit d'une assertion, alors elle doit être vraie.

  4. On le comprend, selon ce modèle, accomplir un acte de langage, c'est générer un contenu propositionnel lié à une force illocutoire. Comment fair-ton pour générer cette force illocutoire ? Il suffit de suivre plusieurs règles d'ordre sémantique qui, selon Searle, sont universelles – puisqu’il a tendance à les considérer comme des  « catégories de l'esprit humain29 ». Ces règles sont censées reprendre les conditions de félicités mises au jour par Austin, mais elles sont intégrées à l'ordre linguistique lui-même30. Parmi ces règles, on trouve selon Searle des « conditions préparatoires », une « condition de sincérité » et une « condition essentielle ». Les « conditions préparatoires » incluent les facteurs linguistiques et contextuels, déjà notés par Austin. Mais ce qui devient décisif dans l’analyse de Searle, c'est la « condition de sincérité », qui inclut des facteurs intentionnels à propos du locuteur. Par exemple, si je veux faire un acte de langage de promesse, je dois nécessairement avoir l'intention de faire ce que je dis. L'engagement pris dépend alors essentiellement du fait que j'ai l'intention de tenir ma promesse, au moins à un certain niveau, puisque n'est une véritable promesse qu'une promesse sincère, c'est-à-dire l'acte de langage de la promesse – son énonciation – accompagné de l'intention de tenir la promesse exprimée31. Quant à la « condition essentielle », elle reprend les caractérisations conventionnelles austiniennes : il s'agit d'une règle, à la fois conventionnelle et constitutive (« définitionnelle ») autorisant à prendre certains énoncés comme la performance d'un acte de langage (comme les règles d'un jeu). Par exemple, si je veux faire une promesse, mon énoncé doit valoir, tel que je l'utilise, comme une prise d'engagement. Ce type de règles détermine donc l'engagement pris en faisant un acte de langage – cet engagement devant être explicite dans les intentions du locuteur : pour accomplir un acte de langage donné, on doit certes respecter la règle conventionnelle instituant la possibilité de cet acte, mais on doit également et nécessairement avoir l'intention correspondante de prendre les obligations qui y sont rattachées pour que cet acte soit véritablement accompli32.

  5. Aussi, on le voit avec Searle, l'analyse des actes de langage commence à se distinguer des idées d'Austin. S'il garde la dimension conventionnelle, il y ajoute de manière décisive des dimensions qui opèrent déjà un changement radical de point de vue : prennent une importance considérable les intentions du locuteur, dont la présence est requise. L'analyse des actes de langage dépend alors étroitement d'une analyse (mentaliste) des intentions du locuteur de faire tel ou tel acte – et de leur reconnaissance par l'auditoire. L'acte de langage est en définitive plus subordonné à un contenu cognitif qu’à une procédure conventionnelle, qui se borne à spécifier les contenus cognitifs pertinents. C'est d'ailleurs pourquoi Searle en vient à défendre l'idée qu'une analyse du langage doit être soutenue par une analyse de l'esprit et qu'il proposera une théorie de l'esprit permettant d'expliquer et de « fonder » sa théorie de l' « action » du langage33. Dès lors, un véritable changement conceptuel s'opère dans l'appréhension des actes fait par le langage : l'acte n'opère plus vraiment un changement de l'état du monde, mais seulement une modification dans l'esprit des locuteurs et des interlocuteurs. En ce sens, l'acte réalisé a des effets purement internes à l'esprit des locuteurs34.

  6. Or, à partir d'un tel point de vue intentionnaliste, d'autres conclusions peuvent être tirées, qui vont encore « amoindrir » la « réalité » de l'acte réalisé par la parole, en s'orientant dans une direction encore plus clairement mentaliste. Ce tournant va s’appuyer sur une conception du langage, elle aussi résolument pragmatique, mais sous une perspective légèrement différente, qui le voit principalement comme un moyen de communication. Car si parler consiste à rendre explicite son intention d'accomplir un acte de langage, comme le veut Searle, alors le fait de parler peut être rapporté à une communication d'intention.

  7. C'est précisément l'idée défendue par H. P. Grice, dans une série d'études déterminantes, publiées en 1989 seulement sour le titre Studies in the Way of Words, mais qui circulèrent dans le monde académique bien plus tôt et y eurent une influence décisive, notamment sur Searle. Grice proposa d'analyser le langage comme un moyen non-naturel de convoyer de la signification, c'est-à-dire de convoyer des intentions communicatives35. Son idée était d’abord de rapporter les phénomènes linguistiques, en tant qu'ils ne font pas partie du monde naturel, à des événements dépendant de l'esprit humain, et de considérer que le langage n'est qu'un médium entre deux esprits. Dès lors, il pouvait le définir comme pur moyen de communication, comprise comme mise en rapport d'intentions.

  8. Une première idée de Grice est que la signification linguistique, en tant qu’elle n’est pas naturelle, doit être intentionnelle. Les conventions linguistiques sont établies ensuite pour fixer du contenu intentionnellement visé. Ainsi, un locuteur signifie non-naturellement quelque chose lorsqu'il utilise intentionnellement un élément pour véhiculer une certaine information à un interlocuteur. Par exemple, en disant « Il pleut », j'ai l'intention de produire chez le locuteur la croyance qu'il pleut en faisant en sorte qu'il reconnaisse, dans mon usage de cette phrase, mon intention de l'amener à croire qu'il pleut. Ce processus explique comment la phrase « il pleut » acquiert une signification. Ensuite, par conventionnalisation des significations déterminées par un usage intentionnel, le langage devient un code doté d'un contenu sémantique à décoder.

  9. Or, le langage lui-même peut être utilisé de manière à véhiculer un autre contenu que celui qui est conventionnellement codé. Si je dis « Il pleut » en voulant dire par là « Je ne vais pas sortir », ce que je signifie ou communique n'est pas inclus dans la signification linguistique (c’est-à-dire dans son contenu propositionnel) et ne peut donc pas être réduit à ce qui est dit. Cela est bien plutôt inféré ou « implicité36 » par ce que j'ai dit. Il s'agit d'un sens implicite qui est dérivé en fonction de la façon dont j'ai utilisé l'énoncé dans certaines circonstances. Et ce sens implicite est précisément ce qui va être considéré, par Grice, comme l'effet propre de l'usage du langage : le langage a pour effet, lorsqu'il est utilisé d'une certaine façon, de communiquer un sens autre que celui qu'il véhicule en raison de ses seuls composants linguistiques. Communiquer, c'est donc bien produire des effets, mais des effets de sens impliqués, ou communicationnels, qui ont peu à voir avec les effets illocutoires d’Austin.

  10. Grice est également connu pour avoir distingué différents types d’effets impliqués (ou implicités), selon la façon dont on joue avec les règles permettant de les inférer. Mais on restera toujours dans le domaine cognitif : ce qui est impliqué est toujours une signification particulière (un « contenu »), dépendante des intentions que le locuteur a voulu exprimer. Les seuls effets provoqués, aussi indirects soient-ils, relèvent donc de l'ordre cognitif puisqu’ils sont modalisés en termes de croyances ou d'intentions.

  11. Or, cette tendance s'est ensuite accrue de manière radicale avec l'approche proposée en 198637 par D. Sperber et D. Wilson, laquelle structure toujours une bonne part des débats actuels. Dans leur livre, ils entendent prolonger les travaux de Grice en un sens plus clairement mentaliste, en prétendant rendre compte des phénomènes d’inférence en fonction d'un simple processus de « pertinence » cognitive, qui permettrait d'expliquer aussi bien la communication du contenu explicite que celle du contenu implicite. Leur « théorie de la pertinence » entend en effet expliquer la rationalité des locuteurs (présupposée par Grice) d'une façon qui rend la théorie du langage étroitement dépendante d'une théorie de l'esprit. Leur idée est que lorsque des individus communiquent, ils ne décodent pas seulement un langage codé, ni ne cherchent à respecter certaines règles conversationnelles, mais ils en infèrent des hypothèses à propos du comportement cognitif de l'agent qui parle. Ainsi, si je scrute attentivement le ciel, ceux qui m'observent peuvent en déduire, étant donnés certains facteurs contextuels et environnementaux, que je veux dire quelque chose par ce comportement ostensible – par exemple, qu'il va pleuvoir. De la même façon, dans l'interaction linguistique, le message linguistiquement codé ne véhicule pas toute l'information qui est en fait transmise dans et par cette interaction. Il fournit seulement des indices permettant de faire des inférences supplémentaires ; aussi la communication n'est réussie que lorsque mes interlocuteurs parviennent à inférer, à partir de la signification de mes énoncés, la signification que j'ai voulu leur donner (ou que j’avais « dans la tête »). Ils doivent donc identifier l'intention informative que j'ai de les informer de quelque chose, en même temps que l'intention communicative que j'ai de les informer de mon intention informative.

  12. Comment de telles inférences sont-elles maintenant possibles ? Comment découvrir la signification intentionnée ou l'intention informative ? La réponse de Sperber et Wilson est purement naturaliste et psychologisante : selon eux, les êtres humains sont des systèmes complexes traitant l'information de manière pertinente. Une donnée est pertinente quand elle permet d'inférer de nouvelles informations lorsqu'elle est combinée à des prémisses déjà-là, contenues dans un arrière-plan mental comprenant différentes hypothèses (sur le monde, l'état des choses, le locuteur, les interlocuteurs, etc.). Un processus d'inférence vise ensuite à obtenir le plus d'efficacité cognitive, c'est-à-dire à obtenir un effet contextuel sur les hypothèses représentationnelles d'arrière-plan des interlocuteurs. Ce qui a le plus d'efficacité cognitive est ce qui est le plus pertinent. Par exemple, si on répond « Il pleut » à ma question « Voulez-vous sortir avec moi ? », il peut d'abord sembler que la réponse n'est pas correcte. Aussi l'inférence la plus efficiente à faire dans un contexte où je sais que la personne à qui je m'adresse vient juste de refaire sa permanente chez le coiffeur est-elle de supposer qu'elle ne veut pas ruiner sa coiffure. Cette inférence permet de donner une pertinence à la réponse faite, en garantissant l'efficience de l'interaction verbale. Et, pour garantir cette pertinence, le locuteur doit s'assurer que l'interlocuteur considérera que son énoncé vise à être pertinent et doit donc communiquer de manière ostensible une présomption de pertinence optimale. Tel est, très brièvement résumé, le principe de pertinence de Sperber & Wilson – une sorte de processus naturel intervenant nécessairement dans toute interaction communicative.

  13. Aussi peut-on bien dire que Sperber et Wilson offrent une explication intentionnaliste de l'acte de langage qui, poursuivant la voie initiée par Searle, s'écarte radicalement des aperçus austiniens38. La signification n'est plus donnée dans le discours, mais est expliquée par un processus inférentiel – à tel point que, désormais, les phénomènes linguistiques semblent dépendre de la psychologie. Et la seule efficacité admise dans ce cadre est une efficacité clairement cognitive qui ne change rien à l'état du monde, mais qui agit seulement sur les croyances d'arrière-plan des participants à la conversation.

Les présupposés comme ensemble de croyances d’arrière-plan.

  1. Il s’avère que le traitement en termes de croyance d’arrière-plan des participants à la conversation ne va pas seulement être mobilisée dans le traitement des effets du langage. C’est toute la question des présuppositions qui va se trouver réinterprétée à cette aune.

  2. On se souvient que, reprenant les conditions de félicité austiniennes, Searle entend rendre compte du fonctionnement des actes de langage en fonction de certaines règles, dont beaucoup ont un statut psychologisant39. Ainsi, les règles 4, 6, 7, 8 et 9 font toutes appel à un élément d’ordre psychologique : la quatrième règle spécifie une préférence quand les règles 6, 7, 8 viennent préciser les intentions qu’autant le locuteur et l’interlocuteur doivent avoir pour qu’une promesse parvienne à être accomplie par le locuteur : ils doivent adopter les bonnes attitudes à l’égard l’un de l’autre. Peu importe la situation réelle d’élocution – tout au plus mentionnée par la première règle – tant que les interlocuteurs adoptent les bonnes intentions relatives à la production d’un énoncé signifiant. Surtout, la condition qui, selon Searle, est essentielle pour réaliser un acte de langage, à savoir la règle 7, est une condition de type purement intentionnel : le locuteur doit avoir l’intention que son énonciation le mette dans une certaine obligation – obligation générée par le fait (règle 8) qu’il a l’intention de faire reconnaître cette intention par l’interlocuteur. Dès lors, peu importe le contexte réel (ou l’insertion mondaine du langage), puisqu’il suffit, pour faire un acte, que j’arrive à faire naître chez mon interlocuteur la croyance que j’ai l’intention de faire cet acte : je promets uniquement dès lors que je parviens à faire croire à mon interlocuteur, en raison d’un mécanisme de reconnaissance de mon intention de m’engager, que je veux promettre. De même, j’affirme vraiment quelque chose dès lors que mon interlocuteur a compris, en raison de l’énoncé que j’ai utilisé (et du respect, lui-même intentionnellement dirigé, de certaines conventions), que j’avais l’intention d’asserter telle ou telle chose. Que cette chose existe ou pas, cela ne m’empêche pas d’asserter quelque chose à son propos.

  3. Cette première transformation des présupposés réels de l’acte de parole en présuppositions concernant les croyances des individus engagés dans l’interaction se retrouvera accentuée plus encore dans l’analyse développée par Kent Bach et Robert Harnish qui, sous l’influence de Grice, critiqueront la conception de Searle jugée encore trop conventionnaliste, et analyseront la réalité des actes de parole en termes de pure réussite communicationnelle40 : ce qui importe, ce sont les inférences au moyen desquelles l’interlocuteur est censé reconnaître l’intention communicative du locuteur. Celles-ci permettent d’avoir des croyances contextuelles mutuelles qui sont censées garantir la bonne réalisation de l’acte. Comme le dit M. Sbisà : « les conditions qui sont suffisantes pour qu’un énoncé donné constitue un acte illocutoire d’un certain type sont toutes exprimées sous forme d’attitudes propositionnelles et toute référence à des facteurs sociaux de la situation ont disparu41 ».

  4. Autrement dit, ce qui est présupposé renvoie désormais à des états cognitifs partagés, en l’occurrence des états mentaux, et l’interaction entre les locuteurs ne se passe plus que dans une sorte d’éther communicationnel où les consciences de chacun des participants doivent en venir à reconnaître les intentions des autres consciences, en présupposant (ou en inférant) que celles-ci ont les bonnes croyances (c’est-à-dire font les bonnes inférences), sans devoir tenir compte des éléments réels du contexte, mais seulement d’éléments linguistiques. C’est dire, comme le remarque pertinemment M. Sbisà, que l’analyse des présuppositions devient une pure « interprétation » (rationnelle) des croyances des locuteurs, et non plus une enquête sur les conditions de l’acte de parole ou, plus généralement, de l’énonciation.

  5. Mais c’est véritablement avec l’analyse pragmatique de la présupposition de Stalnaker que ce mouvement d’internalisation et d’idéalisation consécutive des conditions de réalisation culmine, puisque ce dernier offre alors une analyse totalement cognitive du contexte des actes de parole, tout en proclamant produire une analyse « pragmatique ». Dans les essais réunis dans le volume Context and Content42, Stalnaker va ainsi définir un problème pragmatique de la manière suivante : « le problème est pragmatique puisque les conditions nécessaires et suffisantes [d’un acte de parole] impliqueront normalement la présence ou l’absence de propriétés variées du contexte dans lequel l’acte est réalisé, par exemple les intentions du locuteur, le savoir, les croyances, les attentes ou les intérêts du locuteur et de son auditoire, le temps de l’énonciation, les effets de l’énonciation, la valeur de vérité de la proposition exprimée, les relations sémantiques entre la proposition exprimée et d’autres propositions impliquées de façons différentes43 ». Autrement dit, ce qui en vient à caractériser une analyse comme pragmatique est bien le fait qu’elle se concentre sur le contexte, mais celui-ci s’avère être désormais réduit à un ensemble d’éléments cognitifs tels que des intentions ou des croyances.

  6. Rien d’étonnant à cela puisque le contexte est clairement défini comme « un corps d’informations qui est censé être accessible à tous les participants de la situation de discours. Un certain contexte [context set] est défini comme l’ensemble des situations possibles qui sont compatibles avec cette information – avec ce que les participants à la conversation considèrent être un arrière-plan commun partagé44 ». Ainsi, le contexte lui-même n’est qu’un ensemble d’informations censées être disponibles à chaque locuteur, c’est-à-dire un ensemble de croyances possibles. Dès lors, l’analyse pragmatique de la présupposition ne va certes pas concerner des contenus sémantiques, mais des attitudes propositionnelles, c’est-à-dire des croyances : « selon la conception pragmatique, la présupposition est une attitude propositionnelle et non pas une relation sémantique. En ce sens, ce sont les personnes qui ont ou font des présuppositions, pas les phrases45 ». Stalnaker refuse donc une analyse sémantique de la présupposition, mais son analyse pragmatique devient une analyse des croyances des personnes engagées dans la conversation. Et, dès lors, l’analyse pragmatique elle-même ne tarde pas à rejoindre l’analyse sémantique dans les caractéristiques qu’elle est censée trouver pour définir les présuppositions du discours :

Présupposer une proposition au sens pragmatique, c’est présumer de sa vérité et supposer que les autres personnes impliquées dans le contexte font de même. Cela n’implique pas que la personne doive avoir une attitude particulière à l’égard de la proposition, ni qu’il doive supposer des choses à propos des attitudes mentales des autres dans le contexte […] On a des présuppositions en vertu des affirmations qu’on fait, des questions qu’on demande, des ordres qu’on profère. Les présuppositions sont des propositions supposées de manière implicite avant que l’échange linguistique n’ait lieu. L’ensemble de toutes les présuppositions qu’une personne fait dans un contexte donné détermine une classe de mondes possibles : ceux qui sont cohérents avec toutes les présuppositions. Cette classe définit les frontières de la situation linguistique [appropriée]46.

  1. On a là un traitement « pragmatique » qui en vient à traiter de la « vérité » des présuppositions, elles-mêmes définies en termes de contenus (de « propositions ») qui doivent déterminer « les mondes possibles », c’est-à-dire ici les contextes, dans lesquels l’acte de parole ayant cette présupposition est correct, puisque cette dernière est cohérente avec lesdits mondes possibles. Ainsi, l’analyse des présuppositions s’éloigne totalement des conditions réelles qui doivent être obtenues pour qu’un énoncé soit produit de manière adéquate, pour se concentrer plutôt sur les croyances que les locuteurs doivent partager afin de parler correctement du monde auquel leurs paroles s’appliquent – cette application étant elle-même déterminée en termes de vérité, plutôt que d’échec ou de réussite. On a alors l’impression d’assister à un retournement quasi-complet de l’analyse pragmatique.

Conclusion : une réduction du réel à un monde de croyances relativement partagées.

  1. Au terme de ce bref parcours au sein des transformations des analyses pragmatiques47, on aura compris que les changements qui ont affecté la pragmatique épousent les contours de la révolution cognitive qui a eu lieu dans la philosophie anglo-saxonne d’abord puis dans d’autres pans des sciences humaines ensuite. Au lieu de se concentrer sur les conditions concrètes des phénomènes linguistiques, au risque parfois de perdre un peu d’autonomie mais en ouvrant par là-même la possibilité d’analyse socio-politique48, la pragmatique s’allie désormais à des analyses mentalistes, quand elle ne se subordonne pas à des explorations d’ordre psychologique, pour expliquer, en termes de croyances, ce que les participants à l’échange communicatif veulent dire et faire. Comme si l’on pouvait encore espérer trouver dans le for intérieur des individus, selon le modèle d’un très vieux principe d’analyse, les raisons de leur discours et passer outre toute la matérialité des discours et leurs conditions très concrètes, qui permet d’oublier la répartition parfois inégalitaire de celles-ci.

  2. Bien sûr, ce faisant, la pragmatique, en tant que discipline faisant partie des sciences du langage, a offert un cadre d’analyse lui permettant d’offrir de manière techniciste des explications de nombreux phénomènes linguistiques, en même temps qu’elle s’intégrait au cadre d’analyse ultra-moderne des sciences cognitives. Elle semblait donc avancer sur la voie sûre de la science. Mais, outre le paradoxe qui fait dépendre la scientificité de l’analyse d’un modèle très ancien49, on peut se demander si, en se conformant à cette rhétorique de l’analyse mentaliste, elle n’oublie pas des phénomènes sur lesquels elle s’était pourtant appuyée pour exister à part entière et, surtout, si elle ne fait pas l’impasse sur un ensemble de conditions pourtant bien nécessaires à l’advenue des dits phénomènes. Notamment, en réduisant les conditions de l’échange communicationnel à des croyances supposées immédiatement partageables et partagées, elle semble pouvoir (et devoir) oublier les analyses de la socio-linguistique, plutôt que de collaborer avec elle, en reléguant à l’arrière-plan (au mieux) l’ensemble des dimensions socio-institutionnelles qui conditionnent les usages du langage de manière avérée. Il n’est dès lors pas sûr que le gain explicatif que l’on pouvait escompter lors de son apparition soit toujours aussi grand, tant les phénomènes désormais étudiés ont perdu de multiples dimensions.

Œuvres citées

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1 Il est très difficile de dater l’apparition de la pragmatique : traditionnellement, on la fait remonter au texte de R. Morris, « Foundations of the Theory of Signs », 1938, où le terme est défini pour la première fois en référence au pragmatisme américain. Mais il ne donne alors pas lieu à des travaux linguistiques. Il faudra attendre les années 1970 pour avoir des travaux de pragmatique linguistique et l’embryon d’une institutionnalisation disciplinaire. Mais on peut trouver des précurseurs dès le 19ème siècle. Pour être précis, il faut aussi considérer si l’on parle en termes de disciplines (la « pragmatique ») ou de concept (ce qui relève du domaine « pragmatique ») et de quel côté de l’Atlantique on se situe. L’histoire de la discipline doit en effet tenir compte des effets de réception nationaux, qui sont bien distincts. Pour une introduction, on peut renvoyer à F. Armengaud, La Pragmatique ; et pour une histoire plus précise à F. Latraverse, La Pragmatique : histoire et critique, et B. Nerlich et D. Clarke, Language, Action and Context.

2 Considérer que la pragmatique vient compléter ou s’ajouter à la sémantique, c’est considérer que la sémantique a une indépendance et concerne un niveau de phénomènes propres (les « significations » du langage) qu’elle est légitime à pouvoir étudier seule. Or, cette autonomie explicative de la sémantique a précisément été remise en cause par la pragmatique dès sa naissance, puisqu’elle refusait l’idée d’une signification indépendante de l’usage des phrases. Voir J. L. Mey, Pragmatics: An Introduction. Voir aussi, D. Vernant, Du discours à l’action, ou, dans une perspective différente, F. Récanati, Philosophie du langage (et de l’esprit).

3 Il s’agit de la traduction de l’anglais « speech act », terme avancé par Austin dans ses leçons et repris ensuite par toute la pragmatique. D’autres traductions, éventuellement plus fidèles, sont admissibles : « acte de discours », « acte de parole ». Même si des enjeux conceptuels non-négligeables s’y logent (voir D. Vernant, Du discours à l’action, op. cit.), on emploiera ici indifféremment les trois vocables.  

4 Toute histoire de la pragmatique doit prendre en compte le travail pionnier réalisé par A. Gardiner in The Theory of Speech and Language ; ainsi que les analyses développées plus tôt par A. Reinach dans le cadre de la philosophie du droit : voir A. Reinach, Die apriorischen Grundlagen des Bürgerlichen Rechtes; trad. R. de Calan, Les Fondements a priori du droit civil.

5 On peut rattacher à cette appellation très large les noms de B. Russell, R. Carnap ou encore A. J. Ayer. Ils ne forment pas une école cohérente, mais tous ont défendu l’idée qu’on pouvait analyser l’essentiel des énoncés du langage en termes de conditions de vérité.

6 J. L. Austin, How To Do Things With Words ; trad. (1ère éd.) de G. Lane, Quand dire c’est faire, 1ère conférence.

7 Nous nous permettons de renvoyer ici à B. Ambroise, « La Conception austinienne de la parole comme acte : les différents sens en lesquels la parole agit et leurs conditions ».

8 Qu’on peut traiter de différentes manières. Une solution est de caractériser ce changement en termes déontiques. Voir, par exemple, M. Sbisà, « On Illocutionay Types ».

9 Voir Aristote, Rhétorique [-329/-322].  

10 Pour une discussion, dans les termes austiniens, du rapport entre les deux types d’effet, voir S. Cavell, « Les Énoncés passionnés », etc.

11 Il s’agit d’une forme de « réalisme » philosophique très particulière, qui ne correspond pas à une thèse ontologique. Voir, pour plus de détails sur cette perspective, par exemple J. Benoist, Éléments de philosophie réaliste.

12 Voir A. Reinach, Les Fondements a priori du droit civil.

13 Et, d’une certaine façon, on rejoint le raisonnement du fondateur de la sociologie française : E. Durkheim.

14 Sur cette question, je me permets de renvoyer encore à B. Ambroise, Qu’est-ce qu’un acte de parole ?, à la fin duquel je mets en perspective les approches de Reinach et d’Austin.

15 Voir J. L. Austin,  Quand dire c’est faire, troisième conférence.

16 Pour un examen détaillé du rattachement conventionnel de certains mots à certaines personnes et circonstances, voir J. Benoist, Les Limites de l’intentionalité, 39-66.

17 Voir J. L. Austin,  Quand dire c’est faire, 61, note ** .

18 Voir B. Malinowski, Coral Gardens and Their Magic, Vol. II. Voir, sur la question de la promesse, F. Korn et S. R. Dektor Korn, « Where People Don’t Promise ».

19 Voir B. Russell, The Philosophy of Logical Atomism and Other Essays: 1914–1919 ;  trad. J.-M. Roy, « La Philosophie de l'atomisme logique », Écrits de logique philosophique, 335-442.

20 Voir P. F. Strawson, Logico-Linguistic Papers.

21 On peut également considérer – c’est une suggestion d’Austin lui-même – qu’il est possible de traiter le « paradoxe de Moore » de la même façon. Selon ce paradoxe, il est absurde de dire « p mais je ne crois pas que p », c’est-à-dire d’affirmer une chose tout en disant qu’on ne croit pas que cette chose est le cas. La contradiction n’est pourtant pas d’ordre sémantique, puisque je ne dis pas que je crois que p. Une solution est de considérer qu’elle est d’ordre pragmatique, c’est-à-dire liée aux conditions d’usage des énoncés assertifs : il est généralement requis que l’on croit ce que l’on affirme. Voir L. Wittgenstein, Philosophical Investigations; trad. sous la dir. d’E. Rigal, Recherches philosophiques, part. II, x, 269-273. Voir aussi J. Navarro-Reyes, « Speech Acts, Criteria and Intentions », pour un rapprochement avec Austin.

22  Voir J. L. Austin, Quand dire c’est faire, 74-76.

23  Même si, en l’occurrence, leur absence entraîne certain type de défectuosité qui n’annule pas la réalisation de l’acte : un acte insincère est bel et bien, malgré son insincérité, l’acte qu’il est.  

24 Pour le dire autrement, ce qui est présupposé ici n’est pas sémantiquement donné (d’une quelconque façon). On peut aussi l’expliciter en disant que la présupposition concerne l’énoncé ou l’énonciation et non pas les phrases, ni leur simple contenu sémantique.

25 H. P. Grice est l’un des rares philosophes prenant part à ce mouvement qui revendiquaient explicitement le fait de contester les analyses offertes par Austin et ce qu’on appelle « la philosophie du langage ordinaire ».

26 Dès lors compris autrement, comme un paradigme se concentrant prioritairement sur l’aspect « communicationnel » du langage.

27  Voir J. R. Searle, Speech Acts, trad. H. Pauchard, Les Actes de langage, dans lequel il n’explique jamais comment il comprend ce qu’est la force illocutoire.

28  Voir J. R. Searle, Speech Acts,  chap. 1,  où la « force illocutoire » n'est jamais définie, mais où sont seulement posés comme équivalents « acte de langage complet » et « acte illocutoire ».

29 Voir J. R. Searle et D. Vanderveken, Foundations of Illocutionary Logic.

30 Alors que, chez Austin, elles lui étaient extérieures en tant qu'elles relevaient de l'usage.

31 Alors qu'il s'agissait là d'une idée explicitement critiquée par Austin, dans Quand dire c’est faire.

32 Voir notamment les analyses de D. Vernant, Du discours à l'action.

33 Voir J. R. Searle, Intentionality ; trad. Cl. Pichevin, L'Intentionnalité.

34 Voir J. R. Searle, The Construction of Social Reality ; trad. Cl. Tiercelin, La Construction de la réalité sociale.

35 H. P. Grice, Studies in the Way of Words.

36 De l'anglais « implicature » qu'on peut rendre en français par « implicitation ».

37 D. Sperber et D. Wilson, Relevance, Communication and Cognition ; trad. A. Gerschenfled et D. Sperber, La Pertinence.

38 Fait significatif, Austin n'est cité qu'une seule fois dans D. Sperber et D. Wilson, Relevance, Communication and Cognition.

39 Voir J. R. Searle, Les Actes de langage, chap. 3 : « La Structure de l’acte illocutionnaire ».

40 Cette analyse sera prolongée in Linguistic Communication and Speech Acts, Cambridge, Mass. : The MIT Press, 1979. Dans une réponse à M. Sbisà, R. Harnish estime que Searle a une position « externaliste » proche d’Austin et que ses propres travaux étaient une réponse à ce trop grand externalisme de Searle.

41 M. Sbisà, « Speech Acts in Context », Language & Communication, 422.  Comme elle le rappelle un peu après, c’est une tendance qui s’accentue encore avec la « théorie de la pertinence » développée par Sperber et Wilson in Relevance,

42 R. Stalnaker, Context and Content, dans la préface duquel Stalnaker établit d’ailleurs clairement la priorité analytique de la philosophie de l’esprit sur la philosophie du langage.

43 R. Stalnaker, Context and Content, 34-35 ; voir aussi 48.

44 R. Stalnaker, Context and Content, 6.

45 R. Stalnaker, Context and Content, 38.

46 R. Stalnaker, Context and Content, 38.

47 Bien sûr, nous n’avons fourni là qu’un échantillon de ces analyses qui, pour prétendre à l’exhaustivité, devrait prendre en compte de nombreux phénomènes linguistiques et des variations d’analyse plus subtiles et parfois moins marquées. Cela demanderait un volume entier. Mais nous pensons que cet échantillon suffit à illustrer de manière probante une hypothèse qui se vérifie à la lecture de la plupart des manuels récents de pragmatique qui, parfois, n’hésitent plus à oublier (ou à travestir, Austin étant par exemple lu de manière récurrente à travers Searle) les analyses des ancêtres que sont Austin et Strawson tant elles peuvent s’éloigner des analyses contemporaines.

48 Voir par exemple P. Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique. Ou, dans le champ anglo-saxon, J. Butler, Excitable Speech.

49 Voir, pour une alternative, V. Descombes, La Denrée mentale, et Les Institutions du sens.



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